• Les urgences, c'est :

    - un personnel avec qui on travaille souvent

    - des pathologies récurrentes

    - des situations exceptionnelles

    - quelques patients habitués.

     

    La psychiatrie est le plus grand fourvoyeur d'habitués. Il y a les alcooliques chroniques, souvent avec une situation sociale précaire, qui viennent passer la nuit dans le service, surtout en hiver. Il y a les spécialistes de la tentative de suicide, qu'il ne faut pas hospitaliser selon l'équipe de psychiatrie mais qui trouvent aux urgences l'attention dont ils ont besoin.

    Certains de ces patients viennent tellement souvent qu'ils appellent les membres de l'équipe par leur prénom ou les reconnaissent dans la rue. C'est comme ça que je me suis retrouvée à manger un kebab près d'une accro aux anti-douleurs (suite à une tentative de suicide ratée qui lui avait laissé de lourdes séquelles physiques) qui venait plusieurs fois par mois aux urgences (pour des surdosages volontaires).

     

    Les maladies somatiques ne sont pas en reste. Ce sont des patients dont les pathologies sont tellement évoluées ou mal contrôlées qu'elles les amènent à consulter régulièrement aux urgences. Ce sont des pathologies qui n'ont pas de filière de prise en charge propre, permettant une prise en charge directe par le spécialiste sans passer par les urgences.

    On retrouve dans cette catégorie les diabétiques mal équilibrés, qui prennent pas ou mal leur traitement. Il y a aussi les drépanocytaires. C'est une maladie du sang qui touche principalement des patients originaires d'Afrique (la drépanocytose, en déformant les globules rouges, protège contre le paludisme). Ces patients présentent des crises douloureuses intenses déclenchées par des événements anodins (une baisse brutale des températures, un rhume, une grossesse...). La majorité de ces crises peuvent se gérer à domicile avec un traitement anti-douleur adapté. Mais pas toujours, et il faut alors passer par les urgences. Ces patients ne sont pas faciles à gérer, un certain nombre d'entre eux ayant développé une addiction aux anti-douleurs. Il n'est pas rare de voir des patients s'injecter tout le contenu d'une seringue prévue pour durer plusieurs heures, quitte à faire un surdosage. L'équipe médicale a également tendance à sous-estimer les douleurs de ces patients, soupçonnant une simulation afin d'avoir plus d'anti-douleur. Ces patients sont très chronophages et sont redoutés par les soignants. Il y a presque de la crainte lorsque l'on voit le nom de certains patients s'afficher sur le tableau des patients.

    D'autres patients présentent des pathologies bien suivies mais tellement évoluées que les complications s'accumulent. Tout comme les passages aux urgences. Je pense en particulier à ce patient, trop jeune, avec sa pathologie neuro-dégénérative évoluée. Il collectionne les infections pulmonaires, de plus en plus graves, sur un état de santé de plus en plus précaire. Tout le monde sait que son passage risque d'être le dernier. Tout le monde sauf sa famille, créant des tensions entre eux et l'équipe soignante.

     

    Un jour, ces habitués disparaissent. Parfois pour quelques mois, à la faveur d'une hospitalisation. Parfois pour toujours. Parfois dans des circonstances tragiques. Comme ce patient alcoolique chronique qui était tous les jours aux urgences, exécrable quand il avait trop bu, adorable quand il retrouvait son état normal. Il est mort violemment, dans des circonstances assez horribles. Et toute l'équipe a été touchée par son décès. A tel point que l'on parle encore de lui, plusieurs années plus tard.

     

    Les urgences, c'est une grande famille. Et certains patients en font presque partie.

     

     

     


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  • Les annonces, elles sont au centre de mon travail d'urgentiste. Elles sont souvent négatives, elles surprennent parfois, elles peuvent aussi faire plaisir. Elles peuvent être futiles ou changer une vie. Ce qui est paradoxal, c'est que nous ne sommes pas formés à ces annonces. Et je ne vois pas comment la formation pourrait nous apprendre à faire ça. Chaque annonce est différente, la réaction de chaque patient ou de chaque proche l'est toute autant.

    Les annonces graves donnent l'impression d'être les plus fréquentes. Mais je pense que c'est un effet de prégnance, ce sont celles qui marquent le plus, celles devant lesquelles il est le plus difficile pour moi de rester professionnelle.

    Je repense à ce vieux monsieur lors d'une intervention SMUR. Il faisait le marché avec son épouse lorsque celle-ci a fait un malaise. Un malaise qui est devenu arrêt cardiaque à notre arrivée. Massage cardiaque, intubation, chocs électriques. Le cœur reprend une activité. La patiente se réveille, semble comprendre ce que je lui dis, je suis soulagée et optimiste pour cette patiente. Je vais voir son mari, qui a bien compris ce qui c'était passé. Il remercie chaleureusement l'équipe d'avoir sauvé sa femme même s'il comprend que la situation reste précaire. Il a les larmes aux yeux et moi aussi. J'ai l'impression de lui avoir donné trop d'espoir quant au pronostic de sa femme. Cette conversation me hante encore régulièrement.

    Je repense aussi à cette patiente qui fait un arrêt cardiaque dès l'arrivée dans mon service. Nous arrivons à la récupérer, juste le temps que le cardiologue fasse le diagnostic qui est sans appel pour la patiente. La situation médicale est désespérée, au-delà de toute ressource thérapeutique. Nous accompagnons la fin de vie de cette patiente. Le décès survient en quelques minutes. Son fils arrive quelques minutes après. Comment annoncer à une personne que sa mère qui n'avait pas de problème de santé et qu'il a vue il y a moins d'une heure est morte? J'essaie de prendre mon temps, d'expliquer les faits, de répondre aux questions. Je peux compter sur mon équipe qui entoure le fils dans ces moments difficiles. Il faudra ensuite répéter les explications avec le reste de la famille qui arrive. Je déteste ces moments, j'essaie de faire de mon mieux, de ne pas laisser l'émotion l'emporter. Je ne sais pas si je fais comme il faut. Heureusement, un appel de knackie quelques minutes après permettra de me remonter le moral.

    Il y a enfin ce jeune homme qui vient pour des crises d'épilepsie. Le scanner permet de découvrir une masse intra-cérébrale, fortement évocatrice d'une tumeur. Il faut lui annoncer cette nouvelle tout en sachant ce que peut évoquer "tumeur cérébrale" dans l'esprit des gens. Et lui expliquer dans le même temps qu'il va falloir le transférer à 2h de route de là, loin de sa famille, pour qu'il soit pris en charge dans un centre spécialisé. J'ai été déroutée par la réaction de ce jeune homme, qui a pris la nouvelle avec le sourire. Etat de choc ou trouble du comportement lié à la position de la masse dans son cerveau? Je ne le saurai jamais.

    Tous ces moments difficiles font partie de mon travail et j'essaie de ne pas les amener dans ma vie privée. J'essaie de profiter de tous les moments positifs de ce boulot pour ne pas me laisser envahir. C'est loin d'être facile tous les jours.


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  • La réanimation, au début, c'est excitant. Les patients sont instables, on ne sait pas ce qu'ils ont. Alors on les "équipe" : voie veineuse centrale (pour pouvoir leur administrer tous les médicaments que l'on veut), cathéter artériel (pour pouvoir surveiller la tension de manière plus précise et en continu), intubation (s'il y a besoin). En parallèle de ça, on les examine. Et puis on réfléchit : ce qui s'est passé, ce qu'ils peuvent avoir, comment ça peut évoluer, ce qu'il faut faire (pour les soigner et éviter les complications). L'évolution dans les premières heures est souvent rapide, il faut rester sur le qui-vive et évaluer en temps réel la situation. Et aussi savoir anticiper sur ce qui va se passer. J'aime cette phase.

     

    Ensuite, la réanimation, c'est lassant. L'état clinique des patients se stabilise, ils évoluent plus lentement. On a déjà réfléchi sur leur(s) pathologie(s), les traitements sont en place, on surveille. Parfois, ils évoluent vers la guérison, la surveillance se fait plus légère, ils ne posent plus de problème (ou du moins pas trop). Parfois, ils se dégradent très rapidement, on retourne alors à la phase 1 (celle qui est excitante).

     

    Enfin, la réanimation, c'est déprimant. Certains patients (pour ne pas dire beaucoup) ne vont jamais bien. Ou alors ils s'améliorent avant de développer de nouvealles pathologies toujours plus graves. Certains meurent rapidement. D'autres stagnent dans la gravité. Ils ne vont pas mieux, et n'iront jamais mieux. Vient alors le temps de la discussion éthique. C'est une réunion entre les médecins, les infirmières et les aide-soignantes qui fixent les limites des soins que l'on va apporter aux patients. Les familles ne sont pas conviées afin de ne pas porter la responsabilité (et la culpabilité) l'arrêt des soins de leurs proches. Ils sont toujours interrogés de manière informelle et les tenants et aboutissants de la situation de leurs proches leur sont expliqués, de manière répétée s'il est besoin. Parfois, on peut même leur laisser quelques heures/jours de réflexion avant de prendre notre décision. Cette réunion peut aboutir à plusieurs conclusions : l'arrêt des soins, la limitation des soins qui peut soit être à l'origine du décès du patient soit conditionner les thérapeutiques à mettre en place en cas de nouvelle dégradation du patient. Au final, (trop) souvent (à mon goût), les patients meurent.

     

    Alors, je cherche des bouffées d'oxygène. Les patients qui vont bien et qui sont là juste pour une surveillance à la phase aiguë de leur maladie (ou pour un traitement court). Les gardes aux urgences, où l'ont retrouve la phase 1 (toujours la phase excitante), celle qui me plaît. Les moments avec l'équipe paramédicale, où la bonne humeur est de rigueur. Et c'est ce que je retiendrai de ce stage.

     


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  • Pour des raisons géographiques

     Far far away est loin, très loin. Et la route est encombrée, très encombrée de camions, que l'on peut difficilement doubler. Et elle est aussi remplie des deux espèces d'automobilistes locaux : ceux qui roulent à 70 km/h max (uniquement en descente et en ligne droite donc) et ceux qui se croient sur un circuit (spécialité : dépassements multiples sur ligne continue). Pour avoir constaté quelques décès de ces pilotes sur ces routes, je reste sagement derrière les camions et les limaces, quitte à perdre du temps. Du coup la route s'éternise. Et je n'apprécie que moyennement de me lever à 5h30 pour pouvoir être à l'heure.

    Ensuite, far far away est en altitude. Du coup il fait froid. Le chauffage est indispensable d'octobre à juin. Et l'été il ne fait jamais trop chaud. Et moi j'aime avoir trop chaud. En plus, il fait humide, très humide. Pluie et brouillard constituent la météo de référence.

    Enfin, far far away, c'est mort. On ne croise personne dans les rues, si ce n'est des jeunes bourrés le jeudi soir. Pas vraiment enthousiasmant.

     

    Pour des raisons professionnelles

     L'organisation du travail aux urgences est plutôt bien. Des journées de 24h, réparties entre 4 secteurs : les urgences médicales, les urgences traumatologiques, le smur, la régulation. 85 passages par jour en moyenne, de quoi bosser tranquillement.

    Comme partout, il existe le problème des lits d'aval, surtout pendant les mois d'été où un tiers des lits sont fermés alors que l'activité augmente. Et il y a aussi le problème de la prise en charge médicale des patients en aval des urgences. Ou plutôt de la prise en charge chirurgicale des patients en aval des urgences. La phrase type des chirurgiens quand ils sont sollicités est "faites monter" (les services de chirurgie sont au 4ème étage, les urgences au 1er sous-sol), quel que soit le problème du patient, même s'il existe une urgence à la prise en charge. Le souvenir le plus preignant que j'ai de cette situation est le cas de cette patiente âgée, vivant toute seule chez elle, qui s'était fait une fracture ouverte de la jambe (ce qui est une des rares urgences chirurgicales en orthopédie, afin d'éviter le risque d'infection) vers 21h. Non seulement le chirurgien n'a pas voulu l'opérer le soir même (alors que le délai admis pour ces cas-là est de 6 heures maximum) mais j'ai par la suite appris que la patiente n'avait pas été opérée du tout. Parce qu'il y avait une plaie en regard de la fracture. Alors que c'est l'élément qui fait qu'il doit y avoir opération. Le serpent qui se mord la queue.

    Comme précisé plus haut, far far away est loin, très loin. Et certaines spécialités ne sont présentes qu'au CHU. Une partie non négligeable des interventions smur consiste donc en des "secondaires", c'est-à-dire des transferts de patients d'un hôpital à un autre. Et c'est loin d'être la partie la plus intéressante du métier de smuriste (que le premier qui pense le contraire me jette le premier scope [ne faisons pas les choses à moitié]). Et c'est encore pire quand il faut 2h30 de route pour aller d'un hôpital à l'autre, et que le départ est donné à 3h du matin. Parfois, je m'ennuie au smur de far far away.

     

    Pour des raisons personnelles

     Au moment où j'ai dû partir à far far away, j'étais en train de me construire. Ou plutôt j'étais en train de construire ma famille. Ou plutôt nous étions en train de construire notre famille qui me fait grandir. Des projets plein la tête, parfois même des projets qui font peur. Des envies de durable, de voyage, de moments partagés.

    Quand tout à coup, la rupture. La séparation, brutale, pendant parfois plus d'une semaine alors que nous n'étions pas habituées à ne pas nous voir pendant plus de 3 jours. Le moral en baisse (froid, fatigue, distance) n'aide pas à supporter la séparation. Et je deviens insupportable. J'ai l'impression de freiner notre couple, et je deviens insupportable, en mode ours grognon.

    Heureusement, elle a su être là pour m'attendre et me redonner le sourire. Alors que n'attaque les trois dernières semaines, le temps me semble interminable. Envie que tout cela soit fini, de reprendre notre vie et notre construction.

     

    Pour toutes ces raisons,

     je ne resterai pas à far far away. Malgré les demandes répétées des équipes soignantes. Malgré un emploi du temps et des journées plus "cool" qu'au CHU. Parce que je sais maintenant que le travail n'est pas tout. Ma vie est moins bien sans amour.

     


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  • J'ai grandi dans ce qui n'était pas encore un désert médical. Un tout petit village, dans un des départements les plus ruraux de France. Ce petit village, de moins de 1000 habitants, est éloigné de tout : le laboratoire médical et le cabinet de radiologie les plus proches étaients à 20 km, l'hôpital le plus proche à 50 km (enfin, les 3 hôpitaux, mon petit village étant à équi-distance de ceux-ci) si l'on fait exception de la clinique qui se situe à 35 km (enfin, la clinique, vaut mieux l'éviter, sa [mauvaise] réputation la précède). En tant que chef-lieu de commune, mon petit village abritait les différentes structures médicales : le cabinet médical avec ses 3 médecins généralistes, la pharmacie, le cabinet infirmier, le kinésithérapeute.

    J'ai grandi dans ce petit village, avec l'envie dès mon plus jeune âge de devenir docteur. Et c'est parti pour la grande ville, les études de médecine. Mon projet initial était de devenir généraliste et de venir m'installer près de mon petit village (pas trop près non plus, je n'avais pas envie de soigner toute ma famille ni tout ceux qui m'avaient vue grandir). Je le clamais d'ailleurs haut et fort. Et ma famille en était fière. J'avais d'ailleurs déjà eu des contacts avec le maire du village d'à côté. Il me proposait de m'installer, en me fournissant (au moins) un local gratuitement. Ca me plaisait bien comme idée.

    Pendant ce temps-là, la situation à petit village a dégénéré. Un médecin est parti, puis un deuxième, et enfin le troisième. Un nouveau est arrivé, et est reparti quasi-aussitôt. Il y avait bien un autre médecin à 5 km de là, mais il est lui aussi parti. Finalement, la mairie a réussi à recruter un médecin, une médecin pour être précise, allemande, déjà un peu âgée. Les gens étaient un peu méfiants au début, mais ils ont dû se rendre à l'évidence qu'ils n'avaient pas le choix. Il fallait qu'ils acceptent de changer leurs habitudes pour ne pas être privés de MG. Ils ont dû apprendre à avoir un médecin qui n'avait plus le temps de rester manger après une visite, ni prendre un café. Il a aussi fallu oublier le médecin disponible 24h/24 et accepter d'appeler le SAMU pendant la nuit. Les patients ont évolué.

    Et moi aussi. Je suis tombée amoureuse des urgences. J'ai trouvé une spécialité où je me sens bien, où je me sens utile. Je suis certes devenue généraliste, mais avec un diplôme complémentaire en médecine d'urgence. Je ne m'installerai pas près de mon petit village. J'espère que d'autres le feront. D'autant que la situation semble s'améliorer : un deuxième médecin va s'y installer, un autre est revenu dans mini-village à 5 km, une maison médicale se monte à 12 km de là. Mes parents ne seront pas encore #PrivésDeMG.

     


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