• Les annonces

    Les annonces, elles sont au centre de mon travail d'urgentiste. Elles sont souvent négatives, elles surprennent parfois, elles peuvent aussi faire plaisir. Elles peuvent être futiles ou changer une vie. Ce qui est paradoxal, c'est que nous ne sommes pas formés à ces annonces. Et je ne vois pas comment la formation pourrait nous apprendre à faire ça. Chaque annonce est différente, la réaction de chaque patient ou de chaque proche l'est toute autant.

    Les annonces graves donnent l'impression d'être les plus fréquentes. Mais je pense que c'est un effet de prégnance, ce sont celles qui marquent le plus, celles devant lesquelles il est le plus difficile pour moi de rester professionnelle.

    Je repense à ce vieux monsieur lors d'une intervention SMUR. Il faisait le marché avec son épouse lorsque celle-ci a fait un malaise. Un malaise qui est devenu arrêt cardiaque à notre arrivée. Massage cardiaque, intubation, chocs électriques. Le cœur reprend une activité. La patiente se réveille, semble comprendre ce que je lui dis, je suis soulagée et optimiste pour cette patiente. Je vais voir son mari, qui a bien compris ce qui c'était passé. Il remercie chaleureusement l'équipe d'avoir sauvé sa femme même s'il comprend que la situation reste précaire. Il a les larmes aux yeux et moi aussi. J'ai l'impression de lui avoir donné trop d'espoir quant au pronostic de sa femme. Cette conversation me hante encore régulièrement.

    Je repense aussi à cette patiente qui fait un arrêt cardiaque dès l'arrivée dans mon service. Nous arrivons à la récupérer, juste le temps que le cardiologue fasse le diagnostic qui est sans appel pour la patiente. La situation médicale est désespérée, au-delà de toute ressource thérapeutique. Nous accompagnons la fin de vie de cette patiente. Le décès survient en quelques minutes. Son fils arrive quelques minutes après. Comment annoncer à une personne que sa mère qui n'avait pas de problème de santé et qu'il a vue il y a moins d'une heure est morte? J'essaie de prendre mon temps, d'expliquer les faits, de répondre aux questions. Je peux compter sur mon équipe qui entoure le fils dans ces moments difficiles. Il faudra ensuite répéter les explications avec le reste de la famille qui arrive. Je déteste ces moments, j'essaie de faire de mon mieux, de ne pas laisser l'émotion l'emporter. Je ne sais pas si je fais comme il faut. Heureusement, un appel de knackie quelques minutes après permettra de me remonter le moral.

    Il y a enfin ce jeune homme qui vient pour des crises d'épilepsie. Le scanner permet de découvrir une masse intra-cérébrale, fortement évocatrice d'une tumeur. Il faut lui annoncer cette nouvelle tout en sachant ce que peut évoquer "tumeur cérébrale" dans l'esprit des gens. Et lui expliquer dans le même temps qu'il va falloir le transférer à 2h de route de là, loin de sa famille, pour qu'il soit pris en charge dans un centre spécialisé. J'ai été déroutée par la réaction de ce jeune homme, qui a pris la nouvelle avec le sourire. Etat de choc ou trouble du comportement lié à la position de la masse dans son cerveau? Je ne le saurai jamais.

    Tous ces moments difficiles font partie de mon travail et j'essaie de ne pas les amener dans ma vie privée. J'essaie de profiter de tous les moments positifs de ce boulot pour ne pas me laisser envahir. C'est loin d'être facile tous les jours.


  • Commentaires

    1
    Jax
    Vendredi 24 Octobre 2014 à 09:14

    Merci pour ce billet, dans lequel je me retrouve particulièrement.


    Et encore, je ne suis qu'interne, donc pas réellement en première ligne pour ce genre de situation. Quoique cela arrive régulièrement.


    Comme toi, j'ai du mal à imaginer un "enseignement" de l'annonce. C'est pour cela que je suis franchement reconnaissant aux séniors qui nous emmènent avec eux pour aller voir les familles. On apprend en s'imprégnant, on découvre la palette de réactions possibles, bien qu'elles soient toujours différentes des précédentes. On découvre aussi le médecin que l'on ne veut pas être, ou que l'on veut être, humainement parlant.


    Bref, ici encore, le compagnonnage est roi.

    2
    Cesslasanguine
    Samedi 25 Octobre 2014 à 00:23

    On est loin du cours sur les  annonces diagnostiques, où on te parle de la pièce calme et de couper le téléphone...

     

    Dernièrement, j'ai eu une patiente chez qui 2 urgentistes, 1 réa et moi-même tous annoncé la fin à toute la famille (nonagénaire, clairance à 4ml/min, OAP sur diurèse forcée, hyperkaliémie, confusion s'aggravant d'heure en heure... mal barrée). Annonce faite 3 fois à la famille (les uns puis les autres, dans le petit salon qui est dans le couloir... pas idéal, usant car répétitif, et déplaisant de faire pleurer 3 fois la même famille).

    La patiente a survécu miraculeusement, la petite-fille était super remontée que je me sois trompée, elle m'en voulait de lui avoir fait mal avec mon annonce, mais elle était tellement contente que sa grand-mère soit toujours là. La patiente a du changer de lieu de vie, mais elle a bien récupéré sur le plan rénal, cardiaque, cognitif... J'ai rarement été aussi contente de me tromper !

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    3
    Jeudi 19 Mars 2015 à 16:08

    Merci pour ce témoignage. Je pense que les professionnels de la santé ne peuvent pas être formés à annoncer une nouvelle délicate. Ils doivent gérer chaque situation en fonction du patient et de leur ressenti.

    4
    Samedi 21 Mars 2015 à 00:51
    Salut à toi,

    Etant garde malade je ne peux que comprendre toit ce que tu viens de décrire. Moi je passes après quand le patient rentre chez lui pour mourir... Et les familles je connais!!! Mais rassure toi tous on la même réaction quand ils sont tombés sur quelqu'un qui a pris le temps de leur parler de leur expliquer (même si ils ont rien compris) c'est la reconnaissance!!! Ce que tu fais est formidable n'en doute jamais!!!

    Bon courage à toi!!!
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