• La réanimation, au début, c'est excitant. Les patients sont instables, on ne sait pas ce qu'ils ont. Alors on les "équipe" : voie veineuse centrale (pour pouvoir leur administrer tous les médicaments que l'on veut), cathéter artériel (pour pouvoir surveiller la tension de manière plus précise et en continu), intubation (s'il y a besoin). En parallèle de ça, on les examine. Et puis on réfléchit : ce qui s'est passé, ce qu'ils peuvent avoir, comment ça peut évoluer, ce qu'il faut faire (pour les soigner et éviter les complications). L'évolution dans les premières heures est souvent rapide, il faut rester sur le qui-vive et évaluer en temps réel la situation. Et aussi savoir anticiper sur ce qui va se passer. J'aime cette phase.

     

    Ensuite, la réanimation, c'est lassant. L'état clinique des patients se stabilise, ils évoluent plus lentement. On a déjà réfléchi sur leur(s) pathologie(s), les traitements sont en place, on surveille. Parfois, ils évoluent vers la guérison, la surveillance se fait plus légère, ils ne posent plus de problème (ou du moins pas trop). Parfois, ils se dégradent très rapidement, on retourne alors à la phase 1 (celle qui est excitante).

     

    Enfin, la réanimation, c'est déprimant. Certains patients (pour ne pas dire beaucoup) ne vont jamais bien. Ou alors ils s'améliorent avant de développer de nouvealles pathologies toujours plus graves. Certains meurent rapidement. D'autres stagnent dans la gravité. Ils ne vont pas mieux, et n'iront jamais mieux. Vient alors le temps de la discussion éthique. C'est une réunion entre les médecins, les infirmières et les aide-soignantes qui fixent les limites des soins que l'on va apporter aux patients. Les familles ne sont pas conviées afin de ne pas porter la responsabilité (et la culpabilité) l'arrêt des soins de leurs proches. Ils sont toujours interrogés de manière informelle et les tenants et aboutissants de la situation de leurs proches leur sont expliqués, de manière répétée s'il est besoin. Parfois, on peut même leur laisser quelques heures/jours de réflexion avant de prendre notre décision. Cette réunion peut aboutir à plusieurs conclusions : l'arrêt des soins, la limitation des soins qui peut soit être à l'origine du décès du patient soit conditionner les thérapeutiques à mettre en place en cas de nouvelle dégradation du patient. Au final, (trop) souvent (à mon goût), les patients meurent.

     

    Alors, je cherche des bouffées d'oxygène. Les patients qui vont bien et qui sont là juste pour une surveillance à la phase aiguë de leur maladie (ou pour un traitement court). Les gardes aux urgences, où l'ont retrouve la phase 1 (toujours la phase excitante), celle qui me plaît. Les moments avec l'équipe paramédicale, où la bonne humeur est de rigueur. Et c'est ce que je retiendrai de ce stage.

     


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  • J’ai dix ans, peut-être moins, peut-être plus. Je regarde la salle Berlioz et je ne parle pas des Aristochats. Berlioz c’est un peu la salle de la mort. Un petit auditorium où se déroule les auditions, les examens, le… bûcher.

    De toute ma vie j’ai rarement eu aussi peur, je me suis rarement sentie aussi mal à l’aise. Filez-moi dix hémorragies de la délivrance, je préfèrerai. Je souffre tellement que ma mère n’a pu se résoudre à entrer dans cette salle Berlioz. Elle ne veut pas voir ça.

    Je pousse la porte, au milieu trône un piano. Juste derrière une table avec le jury, 4 ou 5 personnes au visage fermé, presque méchant. Sur le côté, dans des espèces de gradins, l’assistance composée de familles diverses.
    Je m’avance la gorge serrée. Je m’assoie. Je joue. Mécaniquement, sans aucun plaisir, sûrement trop vite, je veux tellement que ça se finisse. Puis je m’en vais. C’est fini mais pas tout à fait. J’ai toujours cette boule et même maintenant lorsque je passe devant le bâtiment, elle revient. Je n’ai jamais pu écouter Berlioz.

     

    J’ai quinze ans, peut-être moins, mais pas plus. Je retrouve un théâtre que je connais bien. Environ mille places, toujours complet. On y fait les spectacles de fin d’année avec l’école de danse. Je déteste ça. Mais on est en groupe, je suis plus grande, je relativise. La foule s’amasse et je passe par le passage dérobée où j’ai mes habitudes : l’entrée des artistes. J’ai peur mais j’adore cette atmosphère de tension. J’adore les salles de spectacles pour ça. Ce vent frais, ce stress planant, puis l’explosion sur scène. Spectatrice je peux le ressentir en toute liberté, aucune blessure, juste de l’envie. L’envie de les voir, d’imaginer ce qu’ils ressentent en coulisse pour enfin les regarder. Ca, j’aime.

    Mais, ce soir, c’est moi qui m’y colle et pour la dernière fois. Je traîne en coulisse. Dernière fois dans ces loges pourries qu’on partage à 18664646468 pour  10m². Je longe les couloirs et tombe sur « le petit théâtre » où on a entreposé les plus jeunes. Elles doivent avoir six ans. Leur prof est surexcitée, veut que tout soit parfait comme dans un ballet d’esclaves russes. Une petite fille n’arrive pas bien à nouer ses chaussons et n’a pas de scotch transparent pour cacher le nœud qui risquerait, en plus, de glisser. Sur un ton mi-dramatique, mi-colérique la prof la gronde. Elle lui dit que c’est inadmissible et que si c’est comme ça elle perdra ses chaussons sur scène et que ce sera bien fait pour elle. La petite fille se met à pleurer. La prof s’en va. Si j’avais pu coller cette putain d’adulte contre un mur…

     

    Et puis, j’ai tout arrêté, d’un coup, stop. Le sado-masochisme ne devrait être acceptable qu’en matière sexuelle et ne pas impliquer d’enfants en construction.

     

    Malgré tout, quelque part, j’ai dû remplacer parce qu’on n’en sort pas si indemne. Ce stress et cette tension, ce ressenti de choses je l’ai un peu dans mon travail. D’ailleurs je ne me suis jamais vu simplement derrière des chiffres et un bureau. Allez savoir pourquoi. Je passe néanmoins mon temps à me plaindre de ce stress, de cette vie de n’importe comment. Pourtant personne ne me force. A croire qu’il y a des choses dont on ne se dépatouille jamais vraiment.


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  • Mon quotidien en ce moment quand je suis sage-femme c'est:

     

    Prendre mon sac à dos, aller à la maternité et passer par les urgences. Essayer de deviner la charge de travail que j'aurais à accomplir. Entrer dans les vestiaires, m'habiller. Je marche sur les jambes de mon pantalon, l'elastique tient sur mes hanches. Je me love dans mon haut trop grand, j'aime.

    M'asseoir, lire les tweets que j'aurais loupé. Souffler avant de partir dans l'arène.

    Passer les portes du bloc, regarder la montre. Etre tendue ou détendue, c'est selon.

    Etre sage-femme. Ne faire que passer dans la vie des couples. Etre juste là pour que tout se passe bien. Les laisser seuls, décider, s'investir. Répondre à leurs questions, leurs attentes. Etre un peu gênée lorsqu'il faut discuter, de tout, de rien juste parce qu'ils ont envie. Je ne suis sûrement pas une sage-femme loquace en dehors de l'obstétrique. Etre distante. Puis lancer une blague acide, ou pas. Des fois ils aiment, des fois ne disent rien. Je suis certes une sage-femme mais aussi un peu moi, alors...

    C'est partager des moments difficiles. Etre là pour leur montrer leur enfant décédé pour la première fois. Ne pas savoir comment s'y prendre. Le faire sûrement de manière maladroite mais honnête. Etre directe, mais sincère. Je pense que ça se sent, que jouer à être une autre sonnerait trop faux.

    C'est partager des moments heureux, être impatiente du moment de l'accouchement parce qu'on le sent bien, parce que ça va être joli, qu'on le sent, qu'on le sait. Dix minutes ou moins, ou plus qui feront que la garde ne pourra pas être qualifié de "pourrie".

    Etre sage-femme c'est un poids constant. Une responsabilité obèse et désintéréssée. Un planning de fou, ne jamais être disponible.

    Je me demande si ça déborde sur ma vie personnelle. La manière de me comporter. Certainement. Trop ? Mal ? Je n'en sais rien.

    Etre sage-femme, être moi, est-ce si différent ?

    Et si ce n'était qu'un travail ?

    Hum...


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  • Pour des raisons géographiques

     Far far away est loin, très loin. Et la route est encombrée, très encombrée de camions, que l'on peut difficilement doubler. Et elle est aussi remplie des deux espèces d'automobilistes locaux : ceux qui roulent à 70 km/h max (uniquement en descente et en ligne droite donc) et ceux qui se croient sur un circuit (spécialité : dépassements multiples sur ligne continue). Pour avoir constaté quelques décès de ces pilotes sur ces routes, je reste sagement derrière les camions et les limaces, quitte à perdre du temps. Du coup la route s'éternise. Et je n'apprécie que moyennement de me lever à 5h30 pour pouvoir être à l'heure.

    Ensuite, far far away est en altitude. Du coup il fait froid. Le chauffage est indispensable d'octobre à juin. Et l'été il ne fait jamais trop chaud. Et moi j'aime avoir trop chaud. En plus, il fait humide, très humide. Pluie et brouillard constituent la météo de référence.

    Enfin, far far away, c'est mort. On ne croise personne dans les rues, si ce n'est des jeunes bourrés le jeudi soir. Pas vraiment enthousiasmant.

     

    Pour des raisons professionnelles

     L'organisation du travail aux urgences est plutôt bien. Des journées de 24h, réparties entre 4 secteurs : les urgences médicales, les urgences traumatologiques, le smur, la régulation. 85 passages par jour en moyenne, de quoi bosser tranquillement.

    Comme partout, il existe le problème des lits d'aval, surtout pendant les mois d'été où un tiers des lits sont fermés alors que l'activité augmente. Et il y a aussi le problème de la prise en charge médicale des patients en aval des urgences. Ou plutôt de la prise en charge chirurgicale des patients en aval des urgences. La phrase type des chirurgiens quand ils sont sollicités est "faites monter" (les services de chirurgie sont au 4ème étage, les urgences au 1er sous-sol), quel que soit le problème du patient, même s'il existe une urgence à la prise en charge. Le souvenir le plus preignant que j'ai de cette situation est le cas de cette patiente âgée, vivant toute seule chez elle, qui s'était fait une fracture ouverte de la jambe (ce qui est une des rares urgences chirurgicales en orthopédie, afin d'éviter le risque d'infection) vers 21h. Non seulement le chirurgien n'a pas voulu l'opérer le soir même (alors que le délai admis pour ces cas-là est de 6 heures maximum) mais j'ai par la suite appris que la patiente n'avait pas été opérée du tout. Parce qu'il y avait une plaie en regard de la fracture. Alors que c'est l'élément qui fait qu'il doit y avoir opération. Le serpent qui se mord la queue.

    Comme précisé plus haut, far far away est loin, très loin. Et certaines spécialités ne sont présentes qu'au CHU. Une partie non négligeable des interventions smur consiste donc en des "secondaires", c'est-à-dire des transferts de patients d'un hôpital à un autre. Et c'est loin d'être la partie la plus intéressante du métier de smuriste (que le premier qui pense le contraire me jette le premier scope [ne faisons pas les choses à moitié]). Et c'est encore pire quand il faut 2h30 de route pour aller d'un hôpital à l'autre, et que le départ est donné à 3h du matin. Parfois, je m'ennuie au smur de far far away.

     

    Pour des raisons personnelles

     Au moment où j'ai dû partir à far far away, j'étais en train de me construire. Ou plutôt j'étais en train de construire ma famille. Ou plutôt nous étions en train de construire notre famille qui me fait grandir. Des projets plein la tête, parfois même des projets qui font peur. Des envies de durable, de voyage, de moments partagés.

    Quand tout à coup, la rupture. La séparation, brutale, pendant parfois plus d'une semaine alors que nous n'étions pas habituées à ne pas nous voir pendant plus de 3 jours. Le moral en baisse (froid, fatigue, distance) n'aide pas à supporter la séparation. Et je deviens insupportable. J'ai l'impression de freiner notre couple, et je deviens insupportable, en mode ours grognon.

    Heureusement, elle a su être là pour m'attendre et me redonner le sourire. Alors que n'attaque les trois dernières semaines, le temps me semble interminable. Envie que tout cela soit fini, de reprendre notre vie et notre construction.

     

    Pour toutes ces raisons,

     je ne resterai pas à far far away. Malgré les demandes répétées des équipes soignantes. Malgré un emploi du temps et des journées plus "cool" qu'au CHU. Parce que je sais maintenant que le travail n'est pas tout. Ma vie est moins bien sans amour.

     


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  • Baiser, dans le sens avoir un rapport sexuel. Je n’aime pas vraiment ce terme, trop connoté dans mon imaginaire, trop unilatéral aussi. Nous préfèrerons donc quelque chose de plus neutre, sexer.

    Politique, dans un sens large, ce qui touche à l’organisation d’une société, d’un groupe d’individus, et même de la place de l'individu dans le dit groupe.

     

    Le sexe dirige le monde, le sexe dirige l’Homme, le sexe dirige la politique. Point. Mon article est terminé.

    Mais j’aimerais quand même vous parler de situations que je ne comprends pas, que je ne peux pas comprendre, défaut de fabrication cérébrale ? Boarf.
    Je ne saurais pas vous dire pourquoi mais dans mon idée le sexe est quelque chose d’à part, à préserver, une des seules choses un peu belles et apaisantes dans la vie avec la nourriture. De fait pour moi, rien n’est moche dedans tant qu’il y a consentement et que ce consentement soit valable, « éclairé ». Je ne sais pas d’où me vient cette doctrine personnelle mais j’ai longtemps cru que c’était une évidence et que tout le monde pensait comme moi.

    Et puis, je me suis mise à interagir avec la société, à l’hôpital notamment. En gériatrie long séjour j’ai fait la connaissance de Mme Loiret qui me reprenait toujours « mademoiselle Loiret » et me racontait son histoire, sans cesse. Jeune fille elle était amoureuse d’un homme.  « Un amour platonique vous comprenez, parce que ma mère m’avait bien dit que les hommes étaient dangereux ». C’était son histoire d’Amour, la seule et l’unique celle qui lui importait. Ils se voyaient souvent, elle devait sourire en coin, avoir cette espèce de nuée de papillons dans le ventre mais elle n’avait jamais rien fait parce que bon… ça ne se faisait pas trop. Ils n’étaient pas mariés, les hommes c’est dangereux hein, sa mère devait aussi faire barrage.
    Son histoire me rendait tellement triste et ça a tellement dû la marquer pour que 60 ans après elle en parle d’une seule traite à la seule évocation du « Madame ». Cette femme a raté quelque chose de Bien, d’exceptionnel parce que…. CA NE SE FAIT PAS, bordel.

    Et moi, petite étudiante d’une vingtaine d’années, j’étais celle qui avait couché pas mariée, le premier soir, et avec une fille en plus. Parce que j’en avais envie et que rien n’aurait pu me faire regretter cela. Parce que j’étais bien. Ca aurait fait hurler ma mère,  ça bouleversait peut-être des Codes dont je n’imaginais même pas l’existence, mais personne n’a rien à en dire. Sexer n’est surement pas un acte politique. C’est surement la chose qui devrait être la moins politique au monde.

     

    Et puis, plus récemment, j’ai appris l’existence d’une théorie : la domination patriarcale dans le sexe. Voir   et puis
    Je n’ai pas pour ambition de vous faire une jolie note avec plein de références et de choses intelligentes. Ce n’est pas mon objectif. D’ailleurs, ce blog je le veux subjectif et spontané. Mais à la lecture de ce genre de choses, un cri profond m’est venu : MAIS NON, PAS LE SEXE ! On peut dire ce qu’on veut de la société, oui elle est sexiste, raciste, homophobe, hétéropatriarcale… mais…ne me gâchez pas une des seules choses qui me fait aimer vivre la vie.
    Je ne conçois pas l’acte sexuel sans consentement, déjà dit, sans confiance non plus et Dieu sait que je ne l’accorde pas si facilement, mais, si tous ces capteurs sont verts pourquoi réfléchir à la dimension politique du sexe et en l’occurrence, de la pénétration ? (prix de la phrase la plus longue, yiha !)
    Une femme aimant la pénétration est sous le joug de la domination patriarcale ? Et même si en fait elle est grave consentante ce n’est que parce qu’on l'a embrigadé dès sa plus tendre enfance ? Mais… What The Fuck ? Quoi La Baise ? On ne peut pas tout simplement prendre plaisir au sexe, quel qu’il soit ? Pourquoi nous bourrer le mou avec ça ? Bourrons-nous autre chose.

     

    Et puis @Gadiouka en a remis une bonne couche avec son article sur la bisexualité. On le savait déjà tous mais elle a le mérite de le dire et bien. Ben ouais, un mec bisexuel c’est quand même un peu un pédé quoi, et si en plus cet ersatz de gay se fait pénétrer, ce n’est plus vraiment un homme quoi. Il devient un dominé.

     

    C’est tellement fatiguant.

    Et vous pouvez certainement dire que tout me fatigue dans ce monde mais quand même.

    Ce genre de choses, de jugements, de clichés, de pensées préétablies font des Mme Loiret partout à travers le monde et si moi j’ai réussi par je ne sais quel miracle à passer à travers, je suis triste pour ces personnes.

    Et à vous, je peux vous le dire. Je vous en veux beaucoup. Non, la vie intime des autres n’est ni sale, ni mauvaise, ni risible, ni pitoyable, ni inappropriée tant qu’elle répond au seul consentement chez des personnes étant en moyen de le donner sans artifice. C’est d’une évidence tellement évidente… tellement évidente que j’en fais ainsi un article à moindre coût. Parce qu’en plus d’être une méchante sage-femme, je suis d’une odieuse flemmardise.


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