• Winnie au pays des licornes et des leprechauns

    Je soulève le drap, une partie de la tête apparait. Je préviens les parents que ça ne prendra plus beaucoup de temps.  Je vais aller chercher le reste de l’équipe : l’aide-soignante et l’interne.

    L’interne embarque l’externe qui se met dans un coin, externe que je ne connais pas, qui ne connait pas la patiente, qui ne se présente pas mais la patiente est ailleurs et je n’ai pas la force de râler. J’installe tout ce qu’il me faut et empoigne la petite tête qui glisse toute seule, doucement. Puis le bébé, et son flot de liquide amniotique. Je l’emmène avec moi.
    Il faudrait peut-être que je retourne vite dans la salle mais je ne peux pas vraiment me résoudre à laisser ce corps inerte seul, pas nettoyé, en vrac. Alors je le lave un peu, prudemment, je l’installe un peu mieux, avec des linges un peu plus doux et je retourne auprès de la patiente. L’interne vient de terminer la délivrance, on s’apprête à réinstaller la patiente, bientôt elle pourra bientôt quitter cet endroit.
    Alors je retourne dans ma petite pièce. Le père m’a laissé de quoi l’habiller. Je n’ai pas tout bien nettoyé, j’ai peur que ça tâche. J’ai peur de trop nettoyer et de léser. J’essaie de faire au mieux… J’ai l’impression d’usurper le titre de thanatopracteur… ces gens-là feraient surement bien mieux que moi. Je n’ai jamais été formée à la préparation des corps mais je fais comme tout le monde et improvise. Je prends le pyjama, un habit Winnie L’Ourson trouvé à sa taille. Je l’ajuste délicatement. Il est beau comme ça. Et puis j’adore Winnie L’Ourson.

    Mais je m’égare, il est l’heure d’examiner mon autre patiente, je suis même un peu en retard il faut dire. Vite, je remets le drap et traverse le couloir.
    Dans la salle de patiente n°2 le monitoring fœtal galope. Il y a des troubles de rythme mais je reste confiante. Le travail avance vite, c’est un multipare, cet accouchement sera PARFAIT. Il le faut un peu.

    Un peu chamboulée, je finis mes papiers. Patiente n°2 appelle, c’est le moment. Je rappelle l’aide-soignante, l’externe est parti dans sa maison, je tends les bras et réceptionne l’enfant. Ca fait un peu de bien.

     

    Et puis je prends ma garde dans le service. Elles sont hospitalisées, elles ont froid, elles ont faim et elles ont peur.
    Cette patiente m’appelle, juste après la relève, en pleurs. Elle pense ressentir des contractions, et puis le diabète toussa, et puis, et puis et puis elle n’est pas bien du tout. J’essaie d’oublier un peu les 56464164646 autres qui m’attendent. Je m’assoie et prends les problèmes un à un. J’explique. J’explique aussi que tout ce qui concerne les faits obstétricaux c’est notre job… que le sien est de se « détendre » au maximum car on en a besoin. Je pourrai lui placer un monitoring pour objectiver les contractions supposées, je pourrais même l’examiner ou la tocolyser. Ce serait presque plus simple. Mais ce serait aussi possiblement iatrogène… même si moi, ça me rassurerait plus. Alors non. Je me dis qu’on peut attendre de voir, je donne quelques consignes et j’espère ne pas me planter.
    Le lendemain matin je retrouverai la patiente souriante après une nuit calme et reposante. Je ne rendrai pas mon badge pour cette fois.

     

    Et puis des fois il m’arrive de rentrer chez moi. Je n’ai pas vu mon docteur depuis trois ou quatre jours. La joie des gardes inversées. Elle est là. Dans un demi -sommeil on se raconte nos gardes avant de s’écrouler. Quelques secondes après le réveil sonne déjà, c’est le milieu de l’après-midi. On est toujours fatiguées. Je prépare à manger et on s’écroule sur le canapé. Avec du courage et si on ne bosse pas le lendemain on ira boire des bières parce que ça fait du bien. On parle de nos projets. Je parle de mes envies. On discute SEXE LESBIEN au milieu des clients faisant mine de ne rien entendre.

     

    J’ai l’impression d’avoir trois mille vies.


  • Commentaires

    1
    elly10
    Mardi 12 Août 2014 à 20:19
    J'adoooore... la dernière partie surtout ;)
    2
    Mardi 12 Août 2014 à 21:55

    Et ta vie lesbienne, ça se déroule comment ? :D

    3
    L'externe
    Lundi 13 Octobre 2014 à 23:42

    Merci de vous rappeler que l'externe n'est pas une petite chose qui ne sert à rien à l'hôpital. Qu'on ne "l'embarque pas" comme un vulgaire colis, qu'il ne se met pas "au coin" comme un enfant de 5 ans et n'est surement pas un défouloire pour personnel en manque de reconnaissance.

    C'est symptomatique de votre profession et du personnel paramédical qui considère l'étudiant en médecine comme un tire-au-flanc. 


    4
    Delphine
    Vendredi 4 Décembre 2015 à 12:25

    De la part d'une maman pour laquelle une sage-femme et une auxiliaire ont un jour pris le temps de s'improviser thanatopractrices, un grand merci ! 

    5
    Macadam
    Dimanche 20 Novembre 2016 à 21:33
    Chapeau !
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