• Viol, maltraitance et consentement

    Winckler qui ici nous mélange violence, viol, maltraitance et nous fait un gros milkshake bien lourd. Ok. J’avoue, ça m’a déçu. Ça m’a déçu parce que Winckler c’est quand même quelque chose en gynécologie. C’est un peu le mec qui s’est levé et a dit, « Nan mais, c’est quoi cette spé préhistorique ? » La gynécologie-obstétrique  c’est ouais… pas toujours très fin. Pas toujours très Evidence Based Medecine et pas toujours très respectueux. Là il nous fait quelque chose de racoleur à mort, pas vraiment rigoureux et euh… à mon sens WTF. Mais ça m’a permis de réfléchir, de me dire que oui, là ou là j’ai failli, j’aurais pu moi, maltraiter et même violer… et finalement ça n’aurait pas fait chier grand monde.

    Je ne prétends pas être la meilleure sage-femme de France. Et des fois je dois avoir des aspects vraiment pourris. Néanmoins je m’octroie une qualité : la réflexion sur ma pratique. J’ai aussi quelques grands principes : Primum non nocere et le consentement (éclairé).

    J’essaie également de transmettre cela parce qu’à la limite moi c’est une chose, mais… de centaines de petits padawans lâchés dans la nature c’est différent.

    L’exemple le plus banal serait peut-être celui de l’épisiotomie. L’épisiotomie c’est inciser le périnée et ça a certaines indications. Du côté de l’opérateur c’est un acte médicalement banal, un ou deux coups de ciseaux. Ça n’en reste pas moins un geste chirurgical, un « soin » qui demande le consentement de la patiente. Quel sage-femme ou gynécologue prévient ou demande l’autorisation avant de le pratiquer ? Il y a en a qui le font et il y en a beaucoup qui coupent sans mot dire (parfois au gros soulagement de la patiente qui ne veut pas savoir, c’est vrai).
    Mais moi ça me choque.  Ça me choque parce que je ne veux pas que la patiente me laisse totale maitrise de son corps sans qu’elle en soit clairement informée, sans qu’elle en ait clairement consenti. Je ne veux pas être un Dieu tout puissant, je ne cherche pas un quelconque pouvoir ou une facilité reposante. Alors je m’astreins à en parler, à trouver le bon moment pour ne pas troubler, à transmettre. Ne pas le faire serait-ce de la maltraitance wincklerienne ? Sûrement.

     

    Et le viol ? Le viol c’est grave aussi. C’est même pénal. C’est une pénétration non consentie. Pénétration au sens large.
    Des étudiants qui iraient faire des Touchers Vaginaux ou Rectaux à un patient endormi sans son consentement par exemple ça rentre pile poil dans la définition.
    En gynéco-obstétrique le Toucher Vaginal, c’est banal. La nana enceinte qui consulte pour vomissements et hop, un TV quoi. Banal ? Oui… mais ça reste quand même un geste qui demande un accord de la patiente.

    Ainsi, j’ai reçu Madame Brrr.

    Madame Brrr débarque pour un accouchement voie basse en salle de césarienne. En salle de césarienne car c’était la seule disponible… beaucoup de femmes allaient être mère ce jour-là. Elle veut absolument une péridurale. Elle crie, elle hurle, et se montre agressive. Elle refuse tout monitoring. Elle refuse tout examen vaginal. Elle veut une péridurale. On ne sait pas où en est la dilatation… juste sa douleur, pesante.
    On arrive quand même à écouter les bruits du cœur du fœtus qui semblent normaux. Un examen vaginal nous permettrait de savoir où en est le travail, si une péridurale est à propos, son dosage, s’il faut préférer une rachi-anesthésie ou si d’autres analgésies sont possibles. Je tente de lui expliquer. Elle refuse. Elle veut une péridurale. Un TV nous aurait vraiment bien aidé et j’aurais pu facilement lui faire. Deux doigts et hop ! Je n’aurais même pas été inquiétée. Mais merde… ce n’est pas ça la médecine et en face j’ai un être humain et non un cas clinique. Pénalement ça relevait du viol, moralement c’était mal, déontologiquement également et éthiquement plus que discutable. J’annonce alors au gynécologue de garde que non, je ne l’examinerai pas, qu’elle refuse et que je n’irai pas contre. On pose conjointement avec l’anesthésiste l’indication d’une péridurale. La patiente se calme légèrement. Les préparatifs faits, la tête du bébé apparait à la vulve. L’analgésie n’aura pas le temps d’être effectuée. A la fin de la garde j’ai pu continuer à me regarder dans le miroir.

     

    Et le consentement ?
    Madame Ogg est enceinte de son Xème bébé. Des troubles du rythme cardiaque fœtal apparaissent dès le début du travail. On  lui parle de césarienne. Elle refuse. On lui explique les risques, on fait des examens complémentaires qui nous rassurent. Puis, un ralentissement prolongé. Le cœur du bébé se met à battre bien trop bas, à 80 battements par minute. Il ne récupère pas. On lui dit qu’il faut une césarienne car sinon il son enfant risque de mourir ou d’avoir des séquelles. Confiante, elle refuse. On n’a pas le droit de l’opérer de force. Pas plus que celui de faire une épisotomie de force ou un TV à la hussarde comme pour les patientes plus haut.
    Et pourtant, ça choquerait presque moins de lui ouvrir le bide sans son consentement. Mais légalement le fœtus n’est pas une personne. Il n’est pas encore né.
    Le rythme cardiaque baisse encore, 60 battements par minute, un tracé plat. On lui montre et on lui dit, « regardez, votre enfant meurt ». Elle accepte alors la césarienne en extrême urgence avec un retard de prise en charge à faire râler très très fort. Mais… c’est le « jeu ».

     

    L’obstétrique est une putain de belle spécialité. Lorsqu’on la pratique on est au cœur de réflexions éthiques ou déontologiques avec des morceaux de législation et de morales dedans. La facilité c’est de balayer tout ça à grand coup de médecine savante et paternaliste. Je le refuse et j’en trouve encore la force.

    Voir des médecins qui ont œuvré pour cela et pour les femmes faire eux-mêmes des amalgames douteux pour le choc ou pour racoler m’attriste. Je me sens un peu trahie… maltraitée… mais non, pas violée. Je respecte trop les gens pour les abuser avec une verve aussi malhonnête. Car oui Winckler, ton fond est juste, presque beau et pourrait facilement mettre beaucoup de monde d’accord. Le desservir à ce point n’est pas faire honneur à ta cause.


  • Commentaires

    1
    pascal Charbonnel
    Jeudi 27 Février 2014 à 09:16

    Merci d'exprimer tout ceci aussi clairement.

    Les réticences que tu exprimes sont valables dans toutes la médecine : ne pas examiner les oreilles d'un enfant qui dit non, ne pas lui ouvrir la bouche de force, savoir faire de la médecine malgré l'absence de ces éléments cliniques, etc...

    Ces abus de pouvoir sont inacceptables et il faut faire évoluer nos professions dans ce sens.

    Malgré tout, il faut le différencier des agressions "non cliniques" parce que le médecin dérape dans sa propre libido, et qu'il n'est plus dans le domaine du soin

     

    2
    Jeudi 27 Février 2014 à 10:32

    Pénalement cela ne change rien, au viol qu'il soit motivé par un désir sexuel ou non (cf la définition et certaines affaires de bizutages où juste comptait l'humiliation par exemple)

    Ses conséquences sont elles moins pénibles ? Je ne vais pas aller vers une hiérarchisation des agressions. 

    Le le cas de l'enfant est encore différent puisque c'est le parent/représentant légal qui autorise le soin.

    Et oui, sur le refus de soin et ses conséquences il y aurait là encore bcp à dire.

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    3
    Mardi 4 Mars 2014 à 22:06

    Merci beaucoup pour ce billet ! ( J'en prends connaissance tardivement parce que j'ai été tellement stressée par l'éventuelle guerre que je n'ai même pas lu mes blogues préférés ! La situation semble revenir à la normal, la preuve...)

    Le sujet est très important, bravo aux professionnel(le)s de la naissance qui osent le traiter ! J'ai souvent vécu des situations troublantes voire humiliantes dans les maternités, une fois c'est allé jusqu'à une vraien agression sexuelle. Et cétait toujours avec les vieux gynécos, donc ni avec les jeunes gynécos, ni avec les sages-femmes. Je pense qu'au fond il y a des questions de culture professionnelle. J'ai un blog consacré au sujet, pour ceux que cela intéresserait. Les enquêteurs et autres juges m'ont demandé pourquoi je n'ai pas réagi immédiatement. J'ai répondu "ben parce que je me suis dit que c'était un peu la coutume du pays quoi, en France ils sont comme ils sont enfin je veux dire que je me fais une raison quoi..." Et là, si mon avocat est présent, il me foudroie du regard, mdr !

    4
    Mardi 4 Mars 2014 à 22:29

    Re-bonsoir, 

    Je suis allée lire l'article de Winckler, et effectivement on a l'impression qu'il mélange tout. Mais justement, il dit au début qu'il n'est pas juriste, il parle du vécu subjectif des patients.

    Je voudrais encore rajouter qu'en obstétrique, ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui trouvent normal de se faire maltraiter ! En France, c'est surtout le cas du bas des classes moyennes, les anas désepérantes qui échangent sur les doctiforums. Leur raisonnement est très simple : une femme enceinte n'est pas sexy (hahaha!!!) = elle n'a pas de sexualité (hahaha!) = donc elle ne peut pas être violée, et puis de toutes façons qui pourrait penser à quoi que ce soit de sexuel dans une telle situation pas glamour, lol beurk mdr.

    Voilà en gros le raisonnement typique d'une Française bac/bac+2 vivant en grande couronne parisienne ou dans la zone périurbaine d'une petite ville de province. Quoi, moi méchante ?

    5
    Mardi 18 Mars 2014 à 04:52

    Ah, cette fameuse épisiotomie. Bien que j'en parle et que j'explique toujours au moment où je prépare ma table d'accouchement, jusqu'à récemment je ne disais jamais quand je la faisais.


    Je suis revenue fortement sur ce principe le jour où j'ai aider à accoucher une maman qui avait rédigé un projet de naissance interdisant formellement selon tel article de la loi de 2002 de pratiquer l'épisiotomie sans son accord. Je lui avais bien redis, comme à toutes les femmes que j'accompagne, qu'entre le bébé en état de mort apparente à la naissance et son périnée je n'hésiterai pas longtemps, et je n'ai jamais vu une mère dire non à cette indication somme toute parfois réaliste. Quoi qu'il en soit, pour la première fois, je lui ai dit  à l'instant "t" que je pouvais faire l'épisio pour l'aider à ce stade. Le tracé était bof, elle faisait une hémorragie prépartum sur un décollement marginal depuis 1h de temps, et elle bloquait sur le périnée car accouchement sans péri depuis 30min.


    C'est effectivement elle qui m'a demandé de faire l'épisiotomie. Je ne l'ai pas regretté, car elle a sans doute vécu ce moment 10 fois mieux parce qu'elle l'avait décidé que si je le lui avais imposé, et j'ai reçu un joli faire-part avec un petit mot. Car n'est ce pas là le travail d'un soignant du XXIe siècle? Respecter le corps et les décisions des gens que l'on aide? Mais aussi travailler au corps les gens qui se complaisent avec les restes du paternalisme si rassurant et si déculpabilisant...

    6
    Mardi 25 Mars 2014 à 17:19

    Des décisions pas toujours facile !

    Bonsoir,

    Contente de découvrir ton blog que j'ai trouvé très intéressant !
    Bonne soirée
    Kim

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