• Lorsque j’étais enfant, je jouais au tarot avec ma famille les soirs d’été. Même si depuis j’ai oublié les règles, je me souviens que j’aimais ça. J’adorais les petites scènes dessinées sur les atouts.

     J’ai maintenant grandi et de ces nuits passées à quémander un peu de fraîcheur il ne me reste qu’un vague sentiment d’irréalité. L’atout maintenant c’est moi et celui qui me tient entre ses doigts n’est pas une petite fille amusée, mais ma maternité. Une institution froide, rigide, qui ne voit que rentabilité et performance. Ce n’est même plus vraiment de sa faute mais un jour, tout s’écroulera.

    Un atout me direz-vous ? Oui, je suis jeune, je ne suis jamais en arrêt maladie, je n’ai pas d’enfant susceptible de me faire louper des gardes ou de me faire refuser des heures supplémentaires non payées. Je suis aussi polyvalente et râle peu lorsqu’on m’envoie sur un poste inconnu comme ça, en me laissant me débrouiller. En toute objectivité, sur un planning, je suis un élément de choix.

    Bonne poire ? Il y a de ça… mais d’un côté ça m’arrange. Je suis une infiltrée. Un grain de sable dans le rouage. On compte sur moi et moi je compte sur peu de gens. J’accepte de servir quelques fois, parce que c’est le jeu. Mais par contre, ne venez pas me chercher des noises sur ce qui me tient à cœur. Revenir le jour où pile je ne veux pas ? Non. Travaillez à Noël ET à Nouvel An ? Non. Et le pire… discuter mes conduites à tenir médicales pour me proposer des avis délirants alors ça, triple Non. J’accepte de servir le système, mais je ne suis pas un automate dédié à sa toute puissance. Le système moi, je m’en méfie. Je pense qu’il gangrène. J’espère juste avoir assez de recul pour ne pas sombrer et peut-être même, l’aider à encore espérer.


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  • Etre en couple avec une fille c'est pique-niquer au bord de l'eau, se mettre assez proche, puis voir un gars et sa barque passer. Puis repasser. Puis rerepasser en nous regardant avec insistance.
    Etre en couple avec une fille c'est partir en vacances. Réserver un hôtel, une chambre double, et se retrouver avec des lits jumeaux les 3/4 du temps. Au début. Après on aura pris le soin de préciser "lit double" lors de la réservation.
    C'est aussi aller au resto et ne pas se faire ennuyer par le vendeur de fleurs...enfin...rarement, contrairement à tous les couples hétéro autour.

    Etre en couple avec une fille c'est attendre le métro ou marcher dans la rue, sans plus et se faire héler  par des inconnus nous demandant ce qu'on fait là et si on est en couple.
    Le corrollaire c'est réfléchir à deux fois avant d'aller en couple quelque part. De marcher de façon un peu plus proche que de simples amies, se tenir la main, la taille ou s'embrasser.

    Etre en couple avec une fille c'est se retrouver dans un Bed and Breakfast dans la campagne irlandaise avec une vieille dame et sa maison remplie de crucifix. Une propriétaire déboussolée. Une rencontre froidemment cordiale.
    Puis, c'est se demander si on ne ferait pas mieux d'ouvrir le second lit de la chambre triple pour lui éviter un infarctus. Ne pas le faire. Avoir l'impression de réaliser un acte politique incroyable.

    Etre en couple avec une fille ce sont tous ces gens qui te parlent de ton copain et même si tu rectifies, n'entendent pas. Ce sont ces amis qui l'apprennent, ne disent rien. Puis t'invitent de manière de plus en plus épisodique.

    Etre en couple avec une fille, ce sont toutes les offres spéciales "couple" avec un produit féminin et un autre masculin. Sans aucune possibilité de choix alternatif.
    C'est aussi avoir des amies elles aussi en couple. Peut-être un peu plus "démonstratives" et se faire refouler d'un simple bar par le videur pour une obscure histoire de chaussures. Oui. C'est être une fille et réussir à ne pas rentrer dans un bar mixte.
    De guerre lasse c'est tester les endroits homo, de voir que l'offre est à 90% masculine et que les 10% restant sont parfois étrange, c'est revenir aux endroits mixtes.

     

    Etre en couple avec une fille c'est plein de petites anecdotes sans importance qui mises bout à bout te font bien comprendre que tu évolues dans le monde des autres. C'est peut être comme être gaucher, être blanc au Japon ou noir au Texas. C'est être le couple invisible ou celui qui s'affiche... en tout cas jamais celui du milieu. C'est un peu le sport au collège et être toujours le dernier choisi dans l'équipe.

    Puis c'est un peu s'en branler, parce que maintenant ça fait 4 années.


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  • L'obstétrique est une spécialité médicale s'intéressant à la grossesse et l'accouchement, et puis... un peu du post-partum quand même.

    L'obstétrique, c'est vachement cool. En général, c'est un peu la cinquième roue de secours du carosse. On s'intéresse peut à elle, par contre, dès qu'on reçoit un ventre rond, le commun des mortels prend peur et botte en... obstétrique. La patiente peut être en insuffisance rénale sévère, en glagow - 3, en crise drépanocytaire cognée, on s'en fout, si elle est enceinte, alors on n'y connait rien et on l'envoie en OBSTETRIQUE. J'exagère... mais pour le coup vraiment à peine.

    L'obstétrique, vous savez, vous étudiants en santé, c'est le petit paragraphe à la fin de votre cours sur un élément lambda du corps humain. Et par expérience, je peux vous dire que lorsqu'on est étudiant sage-femme, qu'on se tape des heures de  cours sur les insuffisances cardiaques, pulmonaires, rénales, les affections occulaires et autres dermatoses pour n'avoir à la fin qu'un quart d'heure et une diapo power point intitulée "cas particulier de la grossesse" parce que l'intervenant n'y connait pas grand chose en femmes enceintes, ça fout les boules.

    L'obstétrique ce sont des femmes jeunes et leur mécanique biologique fait tout un tas de choses bizarres. L'obstétrique c'est une dimension parallèle de la physiologie humaine. Tout un champ neuf à explorer.

    A mon niveau d'expertise, la physiologie, c'est bien intéressant. Rien que sur une femme jeune et en bonne santé il se passe déjà plein de choses. A accompagner, vérifier, dépister ou manipuler. Pendant le travail c'est aussi beaucoup d'animation. Je travaille dans une maternité qui draine du monde et de la pathologie, alors ne m'en veuillez pas si je parle beaucoup de ce que je connais. Donc, de l'animation parce que l'obstétrique est imprévisible. Certaines personnes n'aiment pas ça. On m'a déjà dit "oh mais... comment vous faites pour vous organiser si vous pouvez recevoir plein d'entrées n'importe quand et n'importe comment ?" Hum... On nous a déjà dit "non mais dites nous donc le nombre d'accouchements/jour pour que j'organise le tour de la laverie/stérilisation des boites etc...." C'est tellement mal connaitre l'obstétrique.

    L'obstétrique c'est lorsque tu dis à la patiente que son col est ouvert à 3 cm, que tu te retournes, que tu reviens une demi-second plus tard et que tu aperçois la tête de l'enfant à la vulve. L'obstétrique c'est tout qui va bien et une seconde après tout va mal. Tu dois alors réfléchir au plus vite, poser un diagnostic, élaborer une conduite à tenir qui peut amener à un accouchement en urgence, en décider de son mode (voie haute ? voie basse ?). C'est alors, l'obstétricien, un médecin, qui a le dernier mot... mais il se base beaucoup beaucoup beaucoup sur la sage-femme qui est en première ligne, qui n'aura pas attendu pour faire un examen clinique, un examen para-clinique, ou même mettre une sonde urinaire en prévision d'une césarienne dont l'indication n'est pas encore posée de manière formelle.

    L'obstétrique c'est regarder une situation potentiellement pathologique, des anomalies de rythme cardiaque foetal et NE RIEN FAIRE. Ne rien faire parce que l'accouchement se présente bien, que tout se passait bien avant et qu'on a le temps... un peu de temps... mais pas trop. C'est faire confiance en sa patiente et en ses propres capacités professionnelles, juger de ces élements pour dire que la naissance pourra se faire avec la moindre intervention possible. Car 8 minutes de "bradycardie" foetale à 70 battements par minutes avec une variabilité conservée et bien ce n'est pas 12, ce n'est pas 15, ce n'est pas un rythme plat. Dans un cas, l'enfant ira bien, dans l'autre pas vraiment. Il faut savoir s'il pourra naître avant un certain temps fatidique pour éviter d'être iatrogène et si on décide que ce sera trop long, là, appeler, demander l'aide de Dieu... ou de l'obstétricien qui lui aussi doit assurer dans son domaine d'expertise, la pathologie.

    L'obstétrique ce sont des situations formidables, de la primipare en sarouel tenant la main moite de son jeune compagnon à bouc tous deux impatients de construire leur famille, à la femme ayant rompue la poche des eaux bien trop tôt, qu'on a suivi durant quasiment toute sa grossesse et qui accouche presque à terme d'un enfant allant bien. Des situations formidables juxtaposées à de tragiques tragédies.

    L'obstétrique c'est un peu ce papa qui me demande: "et vous faites ça tous les jours ?"

     


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  • Les Vieilles Bricoles de Knackie reprennent certains textes courts écrits du temps où j'étais jeune. Ils trouvent ainsi une place nouvelle, et peut-être, un regain de fraîcheur.
     
     
    L'homme normal
     
     
    Nous nous sommes rencontrés non loin d'un marche-pied, en face de la grande horloge accusant le retard de ces viles locomotives.

    Sur le quai de mon TER préféré, je vois tous les matins ces kékés fleurs à la main et capotes en poches. Ils attendent leur belle, pectoraux serrés dans leur plus beau Marcel et moi je ne peux m’empêcher de pouffer. Ma demoiselle arrivera dans la semaine et je la vois déjà débouler du terminal. La voie des airs se révèle bien plus classe que tous les chemins ferroviaires.

    Au travers des vitres de ma berline au cuir élastique, j’aperçois chaque jour les meubles Utrecht du magasin Ikea qui campe près de chez moi. Je m’aventure parfois à y observer les couples enlacés devant un canapé à monter. Je m’esclaffe alors doucement dans mon col bien repassé, mon amoureuse et moi allons chez Conforama. A sa sortie de la carlingue je lui paierai tout le bastringue. Je lève les yeux au ciel, les astres sont bien plus élégants que le ballast.

    Mon Nokia ronronne, elle m’appelle avant d’embarquer pour se rassurer. Fille de cheminot, l’avion l’a toujours fait crisser mais je m’efforce avec plaisir de l’invertir. Quelques minutes plus tard France Info me crache un crash sur le Viaduc de Millau. Un Airbus s’est pris les ailes dans les lignes d’alimentation du TER.
    Je ne reverrai plus ma charmante compagne, mon cœur se serre et m’annonce sa tristesse. Je le raisonne poliment, voir partir l’avion sans elle eut été plus douloureux pour l’épris des nuages que je suis. Dès demain je chercherai sur le quai de ma gare préférée une nouvelle usagère de la SNCF prête pour moi à changer de fief.


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  • Les couples me demandent parfois si je suis émue lors des accouchements... Etant une #MéchanteSF froide et insensible je pourrais facilement répondre NON et puis basta. Mais néanmoins, j'aimerais y apporter quelques nuances.

    D'abord, je vais parler uniquement du cas où je suis l'interlocuteur principal du couple, comprendre sans étudiant. L'étudiant, bien que parfois mignon, biaise clairement ma relation. En sa présence mon objectif est d'intervenir le moins possible afin qu'il acquiert une position de soignant et qu'il se confronte aux durs réalités d'un triste monde tragique. La patiente pourra alors écrire sur les forums que la sage-femme n'était pas très présente mais qu'heureusement, il y avait un étudiant (!!).

    Ce point éclaircit alors, non, je ne suis pas émue dans le sens "oh c'est merveilleux, un nouvel être qui entre dans le monde", ça c'est le rôle des parents. Ce n'est pas mon enfant. Néanmoins, plus le temps passe, plus je prends une certaine assurance et je peux prendre un peu plus le temps de voir autre chose que la technique pure et simple, les autres patientes qui m'attendent douze salles plus loin et la relève qui arrive alors que je suis à la bourre.

    Un accouchement, c'est toujours un investissement personnel important. On y va en annonçant à tout le monde "ayé, j'y vais !". C'est aussi une source de stress sachant qu'on est loin de maîtriser tous les éléments de l'équation (comment la présentation va descendre, que va faire le rythme cardiaque foetal, le périnée sera-t-il doux et moelleux etc...). Les responsabilités sont importantes, les conséquences d'une erreur que je pourrais faire également. Du coup, l'émotion de la vie qui nait, euh... Mais par contre l'émotion tout court, surement. Il y a donc ce stress, la gymnastique intellectuelle, la situation médicale qui fait que sur le moment je peux être très concentrée et à la fin très heureuse. Heureuse si j'ai l'impression d'avoir fait du bon travail. C'est en effet très satisfaisant d'un point de vue professionnel d'avoir participé à un événement personnel important pour le couple et d'en avoir fait quelque chose de propre. Oui propre, sans éclaboussure sur le sol, sans ouverture de 36 000 boites stériles, sans refaire une table de réanimation. Moins on utilise de matériel, plus les aides soignantes ou ASH seront heureuses mais surtout, plus l'accouchement aura été soft.
    Alors oui, dans ce cas, je pourrais prendre le temps d'être un peu émue d'avoir fait ce que je pense être du bon travail.

    D'autres fois, ça ne se passe pas ainsi. C'est plus rare, j'essaie de l'éviter au maximum, parfois contre vents et marées et là, ne venez pas me demander si je suis émue de la vie naissante.

    Et encore d'autres fois les situations sont tellement catastrophiques de base qu'on a juste comme objectif de survivre à la journée.

    Dans le métier de sage-femme on est au centre de plein d'émotions pouvant nous assaillir. On y fait face, on les combat parfois et parfois moins. "Et vous, vous êtes émue lors d'un accouchement ?" surement pas de la même manière que vous, les parents. Mais on a certainement le coeur qui bat un peu plus vite.


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