• Attention, article décousu

     

    Sur le net on parle d'accouchement "nature", avec le moins de technique possible, le moins de fils, toussa toussa. Ma salle c'est tout l'inverse. Je suis la méchante sage-femme, ne l'oubliez pas. Je travaille assise au bureau à surveiller les rythmes de mes patientes sur l'écran répétiteur et, toutes les heures, je viens solennellement étudier la dilatation du col*. Beaucoup de femmes semblent apprécier. Les péridurales sont bien dosées hein, elles ont pas mal... voir un peu bloc-motorisées. Elles n'en viennent pas à me dire "anh c'est génial, j'ai rien senti" mais on en serait presque là. Je suis souvent obligée d'utiliser les étriers pour tenir les jambes, plutôt handicapant, je ne sais pas me servir de ces machins. Mais bon, beaucoup de femmes semble apprécier. Après tout, lorsqu'elles s'inscrivent, elles savent à quoi s'en tenir ?

    Je suis une sage-femme de bloc, de bloc patho, technique, la plus forte du monde. C'était un peu l'esprit de l'endroit. Un peu moins maintenant. Ca fait partie du jeu. Mon trip ce n'est pourtant pas les prématurés avec toute l'équipe de garde derrière toi qui attend mais voilà. J'essaie de faire au mieux. Enlever un fil par là, stopper une alarme par-ci. Evaluer, prendre en compte, décider.

    Je suis seule (un peu) et satisfaction, pour la naissance, je peux décider avec le couple. Personne derrière moi pour me dire quoi faire sans que je sois forcément d'accord. Le must, j'ai même des étudiants que je peux gronder s'ils touchent trop à l'accouchement. Ben vi, j'aime pas toucher. Accouchement=retiens la tête et basta... ou presque. C'est en faisant ça que tu peux espérer avoir un périnée intact.

    Les couples paraissent contents. Je ne sais pas si c'est la situation qui veut ça, mine de rien un accouchement ça doit marquer les parents ^_^, ou si c'est moi qui suis particulièrement géniale.

    Mon bloc, j'ai quand même l'impression que c'est pas la vraie vie. Mais si les mamans, les papas et les bébés sont contents, on s'en fiche ?


    *précision pour les fans de doctissimo et amis des poneys->36eme degré


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  • Elle est d'origine africaine et entrain d'accoucher. Lorsque j'ai vu sa vulve j'ai trouvé ça bizarre, pas comme d'habitude. C'était net, propre, mais il manquait des trucs. C'était la première fois que je voyais un périnée excisé, sans petite lèvre. Je ne vais pas spécialement m'attarder dans cet "article". On peut lire tout ce qu'on veut sur les mutilations sexuelles, voir des schéma, des photos, lire que finalement c'est peut être pas vraiment une mutilation si elles le veulent bien (sic) Mais le voir en vrai c'est différent. Et pour couper court (ahah), oui c'est une mutilation.

    Ensuite, il y a mon boulot de sage-femme. On était putain bien emmerdé pour la naissance. Ce genre d'intervention, outre que faire fabriquer du tissus fibrineux pas du tout élastique, amène une pression sur le périnée antérieur lors de l'expulsion plus importante qu'à l'accoutumé. On risque ainsi une déchirure hémorragique, diffiicile à reprendre, pouvant léser le méat urinaire, le clitoris (s'il en reste), bref un peu toute cette zone. On convient donc de faire une épisiotomie qui, et là c'est prouvé, décharge le périnée antérieur en ouvrant le postérieur. Moins on fait d'épisio, plus on a de déchirures antérieures qui sont, dans le cas d'une patiente avec tous ses organes, souvent bénignes. Mais voilà, là c'était différent.

    Dans mon esprit on allait re-faire souffrir des tissus déjà "traumatisés" et le pire était qu'on nous avait forcé la main. Choisi pour nous, et la patiente bien longtemps avant.

    Ca m'énerve.


    Liens: chez l'OMS

              chez Aly Abbara

              chez le Ministère de la Santé


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  • Je n'aime pas le bloc opératoire. Je m'y sens gauche, il fait froid et puis faut dire, si t'es pas en stérile c'est chiant à mourir. Ce n'est pas pour autant que je n'aime pas les chirurgiens, mais bon, faut être honnête, on ne vit pas dans le même monde.

    Le chirurgien c'est le chaînon manquant entre l'autiste et l'homme communiquant, tout du moins lorsqu'il est au bloc. Parce que le chirurgien qui opère n'est pas vraiment quelqu'un de "normal". Déjà il ne parle pas de ce qu'il fait, si ce n'est pour partir dans une tirade dramatique sur l'incompétence des gens qui gravitent autour de lui. Lorsqu'il opère le chirurgien ne demande pas une kelly courbe, il tend la main. Sinon ce serait trop simple. Du coup, le chirurgien déteste le changement. Si par malheur on lui renouvelle son IBODE un frisson le parcours dans tout son corps musclé, il a peur, peut-être qu'il devra... par-ler !

    En tant qu'étudiant sage-femme, on a plusieurs fois l'occasion de mettre les pieds dans des blocs opératoires parfois loin de l'obstétrique. C'est ainsi que j'ai passé 3 semaines dans un bloc en clinique. Bloc en clinique ça veut dire un espace, plusieurs salles, plusieurs spécialités, pas d'externe, pas d'interne, pas d'anesthesiste (ou si peu ^^). Du coup, ça laisse de la place autour du patient.

    Lorsque je suis arrivée on m'a dit d'emblée ça c'est LA salle des orthopédistes. On sentait l'angoisse dans la voix. Double sas, le ménage fait à fond, on mes les a présenté comme des maniaques de l'hygiène... faudrait pas mettre un staph' sur leur PTH. Bref, j'ai vite compris que je n'aurais jamais le droit d'entrer dans leur antre. Je ne verrais pas comment on visse une tête fémorale. Tant pis. On m'a emmené alors en urologie. C'était un vieux chirurgien qui opérait. Son boulot c'était de faire tourner la clinique en enlevant des prostates. Il en faisait deux à trois la plupart des jours de la semaine. L'intervention était bien rôdée, bien rentable. Il ouvrait le ventre, mettait tout plein de fils comme dans un piano et zoup. Au bout de la 5ème prostate retirée, j'avais eu ma dose.

    Je suis allée en gynécologie voir des "cure de prolapsus". Sur mon tabouret je regardais l'intervention coelioscopique sur l'écran. Au moins là je voyais aussi bien que le chirurgien et l'IBODE. Et on met la bandelette sur le promontoire blablabla blablabla, au bout de la 5ème j'arrivais à voir les différents temps opératoire et quand on était proche de l'heure d'aller manger.

    Et puis il y avait les "phimosis" Plusieurs par matinée, c'est fou... Pauvre sécu...

    Lorsque je voyais les vasculaires, je me cachais. Il y avait un chirurgien très méchant, son travail c'était d'enlever des varices... il devait être aigri car dans son bloc, c'était 10 minutes d'opération, 10 minutes de blagues douteuses mélées à des insultes. Joie.Des fois, j'allais voir les anesthésistes.

    Et puis un jour, le dernier, j'ai pu m'habiller. C'était sur une ablation d'un rein qui devait faire le triple du poids normal, tout rempli de tumeur dégueu. L'intervention a duré plus de 4 heures dont les trois quart à retirer les adhérences.  Pour le coup, j'avais chaud. Je tenais tantôt l'aspiration, tantôt les écarteurs. Les 4h sont finalement passées assez vite. Je suis partie en retard. J'avais 1h de transport en commun. Mais ce n'était pas très grave.

    Dans les services, les chirurgiens sont facilement reconnaissables: ils relèvent le col de leur blouse et passent vite dans les couloirs de peur qu'on leur pose des questions médicales.

     

    Nous en obstétrique on travaille avec des transfuges. Les gynécologues obstétriciens sont moitié médecin, moitié chirurgien et la répartition n'est pas forcément égale. Mais le gynéco est bien chirurgien lorsqu'il impose la même chanson en boucle dans le bloc pendant l'intervention. J'ai évidemment fait un stage dans le bloc obstétrical côté "chirurgie". On ne peut pas dire que la joie et le bonheur me submergeaient. Une fois je me suis même faite engueuler parce que habillée sur une césarienne, je ne touchais pas assez de choses... ben oui mais lorsqu'il y a un chir, un interne, un interne et moi avec un intérêt relatif faut dire euh... Du coup je me suis mise à jeter tous les champs un peu imbibés de sang en temps réel, le chir était content. Monomaniaque vous dis-je.


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  • Depuis 10 jours, je suis en pédiatrie. Aux urgences pédiatriques pour être plus précise. C'est mon dernier stage en tant qu'interne, mais revenir au CHU dans un domaine où je n'ai aucune confiance en moi me fait me sentir comme une externe. C'est assez destabilisant. J'ai plein de "jeunes" co-internes (des 4èmes semestres, dont certains ont été mes externes) enthousiastes et sympas, ça fait toujours plaisir.

    J'appréhende énormément ce stage. D'abord, parce que je ne me suis jamais vraiment occupée d'enfants malades, si ce n'est de quelques bobos croisés aux urgences des hôpitaux périphériques. Ensuite, parce que j'ai peur de rater quelque chose et de mettre en jeu la vie d'un enfant (le fait d'avoir été témoin de ça une fois en garde m'a laissé un souvenir amer, d'autant plus que quelques jours après un enfant décédait aux urgences de cet hôpital, après un diagnostic erroné. Le médecin et l'équipe présentes ce jour là ne s'en sont jamais vraiment remis, il pesait une ambiance lourde dans le service jusqu'à la fin de mon stage, ça marque). Enfin, parce qu'au semestre dernier, ce stage s'est mal passé : chefs absents, règlements de compte en public et autres joyeusetés. Et surtout, il y a les parents à gérer. Eux qui ont peur pour leurs enfants sont juste hors de la réalité et difficiles à raisonner parfois. Et puis je suis pas crédible, les gens ont l'impression que j'ai 18 ans, je ne peux pas être le docteur.

    Je reste malgré tout optimiste. Ce stage est réputé comme le plus formateur en pédiatrie de la région, et c'est sûrement le cas, au vu du nombre et de la variété de pathologies rencontrées. Ensuite, étant déjà passée dans le service pour quelques gardes quand j'étais externe, je connais l'équipe et je n'ai pas de problèmes majeurs avec eux. J'espère surtout que ce stage me permettra de savoir gérer l'urgence chez un enfant, par le biais de la gestion conjointe des déchocs avec les chefs et peut-être quelques interventions avec le smur pédiatrique.

      Pendant ces 10 jours, je n'ai été que du côté "médical" (car tout est sectorisé au CHU : les urgences médicales sont prises en charge par les pédiatres généraux, les urgences chirurgicales par les chirurgiens pédiatres, et il y a une équipe d'internes de chaque côté). Heureusement pour nous, l'activité a été calme, ce qui permet d'avoir le temps de discuter de chaque dossier sensible.

    J'ai déjà eu l'impression de sauver une vie (deshydratation sévère chez une enfant de 4 mois) , j'ai vu une enfant anorexique et un jeune en IME abusé sexuellement par un autre, j'ai laissé sortir une pneumopathie qui est devenue une pyélonéphrite le lendemain, la moitié des enfants que j'ai vus en consultation ont dû être hospitalisés (c'est mon pourcentage habituel). Je commence à maîtriser la prescription des plans de réhydratation, les enfants ne pleurent pas trop en me voyant, j'ai appris qu'un stylo suffisait amplement à les occuper pour pouvoir les examiner. J'ai surtout vite compris qu'on savait très rapidement si un enfant va bien ou pas. Et ça c'est très rassurant.

     


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  • Elle est indienne, plutôt sympathique. On a découvert lors d'une échographie que son enfant avait une grave malformation cardiaque. In utéro il va bien, protégé par la circulation foetale, mais s'il venait à naître il mourrait. Peut être en quelques minutes, peut-être en quelques jours. Et puis il y a d'autres choses aussi qui ne vont pas, qui font que même dans le ventre de sa mère, ce foetus est fragile. On a expliqué les choses à la mère, au couple. Ils ont écarté la possibilité d'une Interruption Médicale de Grossesse et optent vers un accompagnement à la naissance.

    Elle est indienne et dans sa chambre, la journée, il y a souvent du monde, de la musique, et des plats odorants. Tous savent ce qui se passent et vont de leurs conseils, pensées ou parlent carrément d'autres choses. Et puis elle est belle et souriante. On pourrait croire qu'elle ne se rend pas compte de la gravité de la situation, qu'elle espère qu'une fois né, tout ira bien. Ca pique un peu.

    C'est la nuit que je m'occupe d'elle. La nuit, elle est seule. Ce soir là, ça ne va pas. Elle a mal à la tête, ne se sent pas bien. Je fais mon travail de sage-femme bien apprêtée, prise de constantes, anamnèse etc... et tout cela débouche sur le diagnostic d'élimination ultime "être patrac". On discute un peu, elle est vraiment gentille, et a tout à fait compris la situation dans laquelle sa grossesse se trouve. Je vais pour m'en aller mais elle me fait signe de laisser la porte ouverte, elle n'est pas rassurée. Elle ne me rappelera pourtant pas de la garde.

    La nuit suivante, j'apprends à la relève que son foetus est mort dans la journée. Je me dis "gloups", peut-être qu'hier soir ça n'allait pas, que j'aurais dû faire quelque chose de plus ? Mais en fait non. Il est mort dans la journée, de ses autres dysfonctionnement, une sorte d'IMG "naturelle". Lorsque j'entre dans sa chambre je lui demande un peu penaude comment ça va... On ne m'a pas vraiment appris les mots magiques pour ce genre de situation alors je me suis faite à l'idée qu'ils n'existent pas. Elle est triste, mais néanmoins soulagée. Elle n'aura pas à le voir mourir petit à petit et la Nature a finalement décidé toute seule. Elle m'annonce alors qu'hier soir elle sentait les choses arriver, que si elle m'avait demandé de laisser la porte ouverte c'était pour laisser son petit s'en aller, comme ça. Ca parait si surréaliste dans ce monde de "bip-bip", de moniteurs et de machines. Elle est si calme, esquisse même un sourire. Je m'échappe de la chambre avant de m'effondrer. Cette fois, elle me laisse fermer la porte.

    Je continue mon tour, heureusement, il ne me reste plus beaucoup de patientes à voir. J'en ai annoncé quelques unes des morts foetales in utéro et quelques unes des fausses couches, mais c'était la première fois qu'une patiente paraissait si consciente, appaisée et résignée. En fait, elle était émouvante. C'était la première fois que je voyais dans une situation si triste, un peu de beauté et de poésie.

    Elle est indienne et a de la chance de pouvoir croire à la fatalité. Et nous, pauvres occidentaux, avons de la chance de pouvoir côtoyer des "pas comme nous" qui se cognent à nos irréductibles Vérités.


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