•                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Lorsque j'étais un cas socialRécemment en me baladant de mur en mur sur Facebook je suis tombée sur l'image ci-contre. On passe sur les fautes et la typographie... et je passe même sur les inepties que le message raconte. Le bon vieux fantasme des assistés qui foutent rien et vivent comme des rois... Je voudrais juste parler des "CMU" selon la mode qu'est de classer les gens d'après leur mutuelle.

    Moins "sale" il y a les MGEN, la mutuelle des enseignants. Les personnes de l'éducation nationnale rivalisent chaque année avec les professionnels de santé dans la catégorie "personnes les plus énervantes à soigner". Les MGEN on en rigole, on chambre, et puis voilà. Faut bien s'amuser dans la vie.

    Dans le bas de l'échelle on a les CMU (Couverture Maladie Universelle) et les AME (Aide Médicale d'Etat). L'AME à la limite, ça fait exotique, on peut s'imaginer un héros de la révolution acculé dans son pays qui vient chercher asile en France après avoir sauvé des miliers de femmes et d'enfants. CMU fait beaucoup moins excitant. Le CMU c'est le ressortissant d'Europe de l'Est qui nous emmerde déjà au rond point. C'est le petit fils d'immigrés qui glande dans les cages d'escaliers et a tout gratuitement. Ils n'ont pas sauvés des miliers de vie, eux.

    Moi j'ai été CMU pendant longtemps. J'avais le must, la CMUc, complémentaire. Ca joue le rôle d'une mutuelle. Ca rembourse à 100% avec tiers payant. Sur le papier c'est idéal. En pratique tu deviens un laveur de pare-brise. Pourtant je suis blanche, je préparais mon concours de PCEM1, mais rien à faire dans les yeux d'autrui. Le parasitisme colle à l'énorme feuille A4 d'attestation CMUc lorsque les autres ont une simple carte de mutuelle payante. Et pourtant je ne suis pas vraiment à plaindre. Je n'ai jamais eu beaucoup de problèmes à me soigner avec ma CMUc, faut dire que je n'allais presque jamais chez le médecin... peut être pour ne pas en avoir de problème. Je n'ai jamais eu vraiment honte... oh, peut-être une ou deux fois... surtout lorsqu'on a commencé à faire la chasse aux patients sans médecin traitant, comme moi. Faut dire que le mien était parti et qu'on nous avait bien dit de ne pas consulter juste pour remplir le formulaire.

    Et puis lorsque j'ai du passer mon inutile radio du poumon pour mon entrée à l'école de sages-femmes. La secrétaire me voit arriver, grand sourire, carte vitale, carte de mutuelle. Ah ben ça va pas, blablabla, j'ai payé ma radio au complet. C'est pas grave, j'avais bien 20 euros à dépenser, boursière que j'étais. CMU c'est quand tu sais que lorsque la secrétaire commence à taper sur son ordinateur, il y a toujours un truc qui va merder.

    Le must c'était chez l'opticien. Lorsqu'on a la CMU on a le droit à des paires de lunettes spéciales, avec des verres spéciaux qui sont pris en charge à 100%. J'étais jeune, étudiante, dans l'espoir d'avoir une vie sociale, j'avais économisé pour m'offrir des binocles potables. L'opticien grand sourire et blablabla "oh le jaune canari des Caraïbes vous va si bien" et vient le moment de payer. Il me demande si j'ai une mutuelle, je dis oui. Il tapote alors sur son clavier, et les verres vous voulez quoi? et blablablabla. A la fin, à la toute fin, il me dit le prix, je dis ok, il me demande ma carte de mutuelle, je tends ma feuille A4 et là c'est le drame. Son visage se décompose. "Ah mais cette monture et ces verres ne seront pas pris en charge à 100%, vous aurez juste le 100% de la base des montures spéciales CMU. Et puis... pour avoir droit à ça il faut que je fasse un dossier spécial, et c'est compliqué, il aurait fallu que je le sache avant, là j'ai déjà rempli blablablabla". Pour le remboursement, je le savais déjà, pour son dossier spécial Flash CMU ça aurait été bien de me le dire AVANT. Il est embêté, presque dégouté. Pas envie de me prendre la tête, la encore j'ai tout payé, cash. J'en avais les moyens, j'avais économisé. Mais là n'est pas la question. J'ai pas eu droit aux quelques euros que ma feuille A4 octroyait mais ce n'était rien comparé au poids qu'elle me faisait porter.

    Vers la fin de mes études j'ai arrêté de demander la CMUc. J'avais sécurité sociale étudiante, et pas de mutuelle, point. Ca ne me changeait pas grand chose financièrement mais j'allais à mes rares rendez-vous médicaux bien plus légère. La deuxième fois, chez l'opticien, plus aucun problème, et j'ai même eu droit au remboursement de la sécurité sociale, genre 4 euros.

    Alors voilà, chaque fois que je tombe sur des messages genre ci-dessus. Chaque fois que j'entends les secrétaires râler à l'hôpital parce que c'est une CMU et que les CMU ont droit à tout, même un chambre seule gratuite et que leur vie c'est trop le bonheur j'ai envie de lui faire bouffer son papier, d'emplafonner l'ordinateur sur sa gueule. Je me retiens, un peu. Mais à ceux qui pensent que la vie d'assisté est si facile, foutez vous au chômage, allez étudier sans pouvoir bosser à côté, essayez vraiment pour voir.


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  • Forcément, j'arrive avec du retard, vacances obligent. Vous en avez surement déjà entendu parler ou pas. Il s'agit de l'opération "privés de déserts".

    La démographie médicale, on nous répète régulièrement que c'est catastrophique et qu'on va tous mourir. Pour certaines personnes trouver un médecin accessible devient de plus en plus difficile. Parallèlement à ça, certains médecins en ont assez d'exercer à l'envers. Il se sont réunis, ont discuté et sorti un truc, un projet, quelque chose qu'ils aimeraient bien voir pour leur boulot. Puis ils l'ont diffusé, et la Ministre de la Santé a même (un peu) réagit. Ils ont fait ça hors syndicat, hors organisation, juste des personnes ayant pour désir de bien faire.

    Ces gens ont alors subis quelques critiques. Des vendus qu'ils étaient, des gens qui n'y connaissent rien, une bande d'anonymes qui se prennent pour qui ? Et pourquoi ils n'auraient pas le droit de faire? Et si vous n'êtes pas contents, faites-en autant. Ces gens pour beaucoup, ne sont pas qu'un simple pseudo dans le vent pour moi et je les imagine bien lancer des phrases, des idées, pas pour faire le "buzz" mais simplement pour espérer améliorer ce qu'il font tous les jours. Combien de soignants sont encore habités par le désir de faire mieux ? Combien lorsqu'ils commencent leur journée de travail ne pensent pas uniquement au moment où ils passeront la porte de sortie ?

    Ils ont de la chance de s'être trouvés, j'ai un peu de chance d'être à leur contact. La profession de sage-femme est encore loin de cela. Il y aurait des choses à faire pourtant, mais le jour où 24 sages-femmes discuteront calmement sans se bouffer le museau et lanceront des propos intelligents jusqu'à faire réagir une Ministre par leur bruit je pense être déjà à la retraite, si elle existe encore.

    Pour lire et soutenir les propositions c'est ici

    Et voici la liste des 24 signataires:

    AliceRedSparrowBorée - Bruit des sabotsChristian Lehmann - Doc Maman - Doc Souristine - Doc Bulle - Docteur Milie - Docteur V - Dominique Dupagne - Dr Couine - Dr Foulard - Dr Sachs Jr - Dr Stéphane - Dzb17 - Euphraise - Farfadoc - Fluorette - GéluleGenou des Alpages - Granadille - Jaddo - Matthieu Calafiore - Yem

    Pour ma part, je réserve déjà ma place dans la MUSt de Gélule


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  • Elle a trente, trente cinq ou quarante deux ans. Elle a appris qu'elle était enceinte. Puis, quelques semaines après qu'elle avait un cancer. Un cancer gynécologique pendant une grossesse est rarement gentil. Il nous laisse peu de temps et se goinfre d'hormones. Alors, on fait au mieux. J'ai connu quelques patientes dans ce cas... elles avaient l'air de prendre les choses tellement... bien.

    Mais je me demande, comment peut-on associer le bonheur d'un nouvel enfant à tout ce qui ce qui nous reste à parcourir pour peut-être, mourir ?

    Lorsque j'ai voulu travailler dans la santé, je me disais que ce serait intéressant intellectuellement et humainement. Et effectivement. Je n'avais pas pour vocation de sauver le monde, je ne l'ai toujours pas. A vrai dire je voulais m'enrichir. C'est ce qui se produit lorsque mon chemin rencontre ces patientes, et d'autres et encore d'autres. Sur le moment on joue notre rôle de professionnel de santé. Réfection de pansement de mamectomie, surveillance du travail, accouchement, conseils... Puis j'y repense, demande des nouvelles.

    Ca me fait chier d'apprendre que le deuxième sein est touché alors qu'elle était si confiante, qu'on était si confiant. De voir que pour une autre patiente on n'envisage même pas une chirurgie. Qu'une patiente que j'ai faite sortir, qui allait bien et qui trois semaines après s'est vue diagnnostiqué un abcès du sein en ville, en l'ouvrant on a compris que c'était en fait une tumeur dégueulasse.

    C'est frustrant de savoir que je ne saurai jamais la fin. J'hésite à penser que ça finira bien. Ou peut-être que je les retrouverai pour une autre grossesse, dans d'autres circonstances, comme dans un film américain.

    Ces femmes, ces familles vivent quelque chose d'extraordinaire, mais l'extraordinaire devient finalement tellement commun à l'hôpital. On l'oublierait presque dans nos blouses. Moi ça me revient le soir devant ma bière, mon vin ou mon Coca du guerrier. Et je me demande alors comment je réagirais ? A l'hôpital, dans une blouse à fleur ouverte sur mon caleçon à coeur...

     


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  • Progressivement je dépasse le quart de siècle... Je n'ose même pas imaginer lorsque j'aurais trente ans. Bientôt je n'aurais plus de réduction pour les transports en commun, le cinéma ou les clubs libertins. Je ne pourrais même pas arguer le fait d'être étudiante. Non, je suis un "jeune actif" même pas gay.

    Je vais peut-être avoir un emploi stable et déjà, je ne suis plus la plus jeune à mon poste. Les ex de ma promotion se marient, ont des enfants, c'est affolant. Moi je n'ai pas le droit, Dieu que c'est rassurant. Je les envie quand même un peu, un congé maternité, long, puis une reprise du travail tardive, tardive... je rêve de vacances sans fin. Pourtant je ne fais pas un métier que je déteste. Je ne l'exerce pas dans les conditions les plus idéales, c'est tout. L'hôpital a un drôle d'avenir, vraiment. Je m'en veux lorsque je n'ai pas plus de 5 minutes par heure à accorder à la primipare toute heureuse de bientôt accoucher et qui pourtant, doute. Je m'en veux lorsque je n'ai pas plus de 3 minutes à accorder aux étudiants qui voudraient apprendre quelque chose pendant leur garde... leur dire "tiens regarde au mur, t'as plein d'info sur l'analyse des rythmes" c'est vachement pédagogique. Et puis, je m'en veux lorsque je ne peux pas être dans deux salles en même temps, quand il y en a deux qui merdent, et que j'arrive dans la deuxième juste à temps. Je ne pourrais pas toujours être dans le bon timing. Et pourtant, ce serait inexcusable.

    Ce sont des problèmes de grand et ils ne sont pas rigolos, les grands.

    Et puis, je cohabite avec des chats et un être humain. Mine de rien c'est réconfortant. C'est un peu là qu'on se rend compte qu'en fait le travail c'est pas totalement le plus important. Si j'avais su j'aurais fait un truc moins stressant, avec des horaires normaux. Ou j'aurais arrêté mes études et fait femme au foyer, bénévole dans une AMAP. Elle aurait pu me prévenir qu'elle serait là. Oh oui féministes de tout poil, c'est honteux ce que je raconte là, fouettez moi.

    Je grandis, je vieillis, qu'importe. Je suis juste là, déjà.  C'est quand que la vie s'arrête de passer à travers la vitre d'un TGV ?


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  • Quelques semaines en salle de naissance et j'ai déjà vu/fait plus de choses qu'en 4 ans d'école de sage-femme. Pour le coup, c'est enrichissant. Mais c'est aussi lourd, de responsabilité, de gravité et d'émotion. Avant j'avais plutôt l'impression de servir uniquement à libérer des lits, je peux maintenant me sentir un peu utile à la fin de ma journée.

    La grande inconnue se fait pourtant toujours attendre, la physiologie. Je la cherche avec un désespoir désespérant. Alors oui, au milieu des situations les plus hubuesques les unes que les autres, il y en a, des accouchements normaux, sans rien, bon Dieu que c'est reposant. On les oublierait presque, il font partie de la pause café. Une petite bouffée d'air frais pour oublier les autres responsabilités, comme ma première Interruption Médicale de Grossesse en tant que diplômée.

    Oh, j'avais suivi quelques IMG lorsque j'étais étudiante, mais être LA sage-femme revêt quelque chose de différent outre tous les papiers, les prélèvements que si tu te trompes c'est la catastrophe.
    C'était une IMG pour un syndrome polymalformatif à un terme peu avancé. Ca a duré une bonne partie de la garde. J'ai donné les comprimés de cytotec pour démarrer les contractions utérines. Ce n'était pas la première fois mais je prenais vraiment conscience que voilà, il y allait avoir des contractions, qu'à ce terme le foetus n'allait pas les supporter, et qu'il n'y aurait plus d'activté cardiaque.

    Ca n'avance pas, comme toujours, et tout d'un coup le col se dilate totalement, présentation plus qu'engagée. Lorsque je retire mes doigts je vois le petit cordon qui sort. Dans une autre situation ça aurait rameuté du monde, fait tout un foin. Là c'est juste la fin.

    J'appelle le chef de garde, c'est l'interne qui vient. Un que j'aime bien. On est juste deux soignants dans la pièce, la mère pousse une ou deux fois, on dépose le foetus dans un lange, sur un plateau puis je l'amène dans la petite pièce où je l'examinerai. A chaque fois que j'ai eu à emmener un corps comme ça, j'ai toujours eu une boule au ventre, et là ça n'a pas loupé. Je n'ose même pas imaginer si j'étais la mère. On dirait vraiment un mini-bébé, avec une peau toute fine que j'ai peur de casser. Il a l'air calme. Je pense à l'Espagne où on peut faire des IVG jusqu'à 22 SA, je me dis merde, ce sont des mini-bébés. Puis je me ravise, ce n'est pas le sujet, je ne suis plus objective. Je nettoie un peu, prends les mesures, le repose, puis je reviens vers le couple. Ils veulent le voir.

    Je n'ai jamais présenté un foetus mort à ses parents. On a surement eu un cours débile là dessus, loin dans mes souvenirs. Je décide de faire sans, comme je le sens. Je le montre à la mère, dans son lange, puis je lui donne et lui annonce le sexe. Elle le trouve parfait, se demande pourquoi. Je lui présente une des rares malformations visibles, la plupart dans ce cas étant internes. Ca appuie mon discours comme quoi ils ont pris une décision difficile mais justifiable vue la qualité de vie qu'on aurait pu lui offrir. Ca a l'air de soulager le couple. Ils ne souhaitent pas le garder plus longtemps. Je le ramène en leur disant qu'ils pourront le revoir plus tard.

    Seule dans la pièce je le repose. C'est bientôt la fin de ma garde. Je suis sage-femme.


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