• Pratique ancestrale

    Un jour j’ai travaillé avec une sage-femme expérimentée. Elle aimait bien les étudiants et les autres sages-femmes tremblaient devant son savoir. Elle essayait je crois de me semer. Je suivais plusieurs parturientes avec deux sf différentes, c’était donc plutôt facile pour elle. J’accompagne alors cahin-caha le travail de cette femme, tantôt par procuration, tantôt activement.
    Vint le moment de l’accouchement, elle mets les gants, s’installe et fait semblant de ne pas me voir. Je me dis ok, elle m’a quasi ignoré tout du long, je vais la laisser faire en solo hein, pas envie de me battre pour un accouchement d’une femme qu’elle connait au final plus que moi. Je décide donc de rester en retrait et de faire la délivrance dirigée (injecter de l’ocytocine lorsqu’une épaule du bébé se dégage  pour limiter le risque d’hémorragie de la délivrance par atonie utérine). Accouchement bien, la sf se barre, le placenta arrive et je mets donc les gants pour faire la délivrance.

    Pour la délivrance je ne suis en général pas plus interventionniste que pour l’accouchement. Une fois le placenta décollé je demande à la femme de pousser et laisse le fond utérin tranquille. A quoi bon de faire de l’expression (appuyer sur le ventre en prolabant un peu tout), ça marche bien comme ça. Si les membranes s’amusent à faire de grands voiles, j’enroule, et s’il ne reste qu’un petit filet, je tracte doucement avec une pince. Puis voilà.

    Donc, la femme se délivre, je récupère le placenta et plein de caillots coincés dans les membranes. Je n’aime pas les caillots, c’est moche, on dirait du foie frais, et moi le foie je ne l’aime que gras ou cirrhotique. La sf arrive, je tripote le placenta pour vérifier que j’ai tout récupéré et derrière moi j’entends le glouglou d’une petite rivière. La salle de travail ne se trouvant pas en pleine nature parmi les fleurs et les chevreuils je me retourne et vois une petite source de sang qui se collecte dans la poche de recueil. Pas les chutes du Niagara hein, mais assez pour faire glouglou quand même. Je vérifie l’utérus qui est tonique, prends rapidement le pouls, la tension, mets la perfusion de Ringer à fond et  jette un œil sur les réserves de Voluven. La sf me demande de sonder (une vessie plein peut empêcher la bonne rétraction de l’utérus). Il y avait besoin mais ça coule toujours. A ce stade, moi petite esf qui ne connais pas la vie, j’aurais fait une révision utérine pour le débarrasser des caillots qui se sont surement accumulés, la femme ayant une péri, pas besoin d’anesthésie générale. Devant l’hémorragie modérée la sf préfère faire de l’expression pour éviter la RU. Elle appuie, sang+++. Elle re-appuie, sang, caillots+++, etc…On vérifie la poche de recueil, elle re-re-appuie et au final elle vide l’utérus comme ça. On commence à voir le col s’extérioriser  sous la pression et comme on ne ramène plus de caillot, que ça saigne moins, on arrête. Au final, la femme aura perdu un peu plus de 500cc, c’est donc  bien une hémorragie mais modérée. La sf est contente d’avoir évité une révision utérine, geste invasif à risque infectieux (qu’on prévient avec des antibiotiques) que personne n’aime pratiquer. Mais à quel prix ?
    Loin de moi de critiquer la décision de la sf, je ne suis pas qualifiée, et puis, elle est si forte. Je sais juste que l’expression utérine est un geste traumatique et que les services de gynécologie sont remplis de femmes opérées pour prolapsus. De deux maux, choisir le moins pire, je n’en ai pas discuté avec la sage-femme, après avoir couru derrière elle toute la journée, je ne le sentais pas. Et puis elle insistait sur le fait que j’apprenne à faire les papiers.

    Au final, si on me demande ce que j’ai retenu de ma mini-hémorragie, je répondrais : le glouglou. Un son mignon, joli, frais, et choquant lorsqu’il est dû à un écoulement sanguin. J’imagine le malaise lorsqu’on retrouve un débit beaucoup plus important que ce que j’ai eu.

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  • Commentaires

    1
    ambre sf
    Vendredi 20 Mars 2009 à 18:52
    le glouglou, le pire des bruits en salle je crois... et quand on dirait que le robinet est ouvert à fond, l'autre bruit c'est ton coeur qui fait bambam que tu dirais qu'il va sortir de ta poitrine... maintenant j'aurais pris la même décision que toi: RU...
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