• Quand j’étais jeune je rêvais d’une vie intéressante avec un travail/passion qui me permette de ne jamais vraiment savoir de quoi chaque journée sera faite. Un truc qui colle à la peau comme du bon méco*.

    De fil en aiguille je me suis retrouvée dans l’espoir d’avoir une famille. Vous savez, ces rares gens à qui l’on tient et qui nous exaspèrent à ne jamais changer le rouleau de papier toilette (coupable). La perspective de m’affranchir de toute contrainte incompatible avec cet état paraissait presque séduisante. Ne pas travailler, ou alors en restant assise, devant un écran, FaceBook ouvert, avec la clim. Puis rentrer à 17h. Regarder son propre tableau.
    Mais c’était trop tard.

    Ma vie maintenant c’est prévoir tout un an à l’avance ou alors au dernier moment. Pas d’entre-deux.  C’est se croiser en devinant l’autre sur les plis de l’oreiller. C’est aussi se coller, les moindres heures ou journées. Se lever à 15h, picoler n’importe quand en se racontant nos journées. Nos guerres, nos chasses, nos victoires ou nos défaites. Des choses qui nous paraissent normales mais qui terrifient la plupart de nos congénères, qui font que les gens autour se retournent sur nos paroles.

    C’est marcher le long du parking en se demandant la peur au bide ce qu’on devra gérer, qui on devra gérer. C’est assurer ce que personne d’autre ne veut faire. Recevoir toujours les cas les plus critiques, les plus affreux, peut-être ceux qui nous rendent le plus fier.

    Parfois les conditions sont réunies pour que je puisse apprécier. Me rappeler pourquoi je suis censée aimer cela. Ainsi, j’ai la chance d’être au contact de gens variés dont je ne me serais jamais approchée autrement. Tout le monde vient accoucher. Les riches propriétaires, les sdf, les sombres connards, les paumées, ceux qui nous ressemblent, les autres. Echanger ne serait-ce que trois mots apporte alors une petite brise qui nous pousse à tourner la tête, plisser les yeux et sortir de sa propre case. On apprend et quand on arrête d’apprendre, on meurt.

    Si je peux être encore émue de faire du « bon travail » alors je ne suis pas encore perdue. Si l’accouchement parfait de 10h du matin permet de me rendre gaie comme un pinson toute la journée c’est que je ne me suis pas tout à fait trompée. Si je rage, grogne et peste à chaque échec c’est qu’il m’importe encore de m’améliorer.

    Si je réussis malgré toutes les contraintes institutionnelles à garder un peu de ça je pourrais dire alors que ça vaut le coup. Je pourrais alors accepter de ne pas avoir dans chacune de mes journées un chien, un plat cuisiné avec amour et des gamins à éduquer.

    Je pourrais accepter ce fond de stress qui ne me lâche jamais vraiment. Parce qu’au fond, je dois l’aimer. Un peu.

    Alors, j’accepte ce décalage. Je crois que j’ai toujours plus au moins cherché à m’écarter de ce que je voyais comme La Norme. Je continue à être crue, ou cuite selon les moments. Et si je suis rarement  bien là où je suis je sais que l’important reste la petite étincelle, ce sourire, ce merci ou ce clin d’œil qui vient quelque fois et qu’on n’aurait jamais eu autrement.

     

    * méconium


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