• Elle est indienne, plutôt sympathique. On a découvert lors d'une échographie que son enfant avait une grave malformation cardiaque. In utéro il va bien, protégé par la circulation foetale, mais s'il venait à naître il mourrait. Peut être en quelques minutes, peut-être en quelques jours. Et puis il y a d'autres choses aussi qui ne vont pas, qui font que même dans le ventre de sa mère, ce foetus est fragile. On a expliqué les choses à la mère, au couple. Ils ont écarté la possibilité d'une Interruption Médicale de Grossesse et optent vers un accompagnement à la naissance.

    Elle est indienne et dans sa chambre, la journée, il y a souvent du monde, de la musique, et des plats odorants. Tous savent ce qui se passent et vont de leurs conseils, pensées ou parlent carrément d'autres choses. Et puis elle est belle et souriante. On pourrait croire qu'elle ne se rend pas compte de la gravité de la situation, qu'elle espère qu'une fois né, tout ira bien. Ca pique un peu.

    C'est la nuit que je m'occupe d'elle. La nuit, elle est seule. Ce soir là, ça ne va pas. Elle a mal à la tête, ne se sent pas bien. Je fais mon travail de sage-femme bien apprêtée, prise de constantes, anamnèse etc... et tout cela débouche sur le diagnostic d'élimination ultime "être patrac". On discute un peu, elle est vraiment gentille, et a tout à fait compris la situation dans laquelle sa grossesse se trouve. Je vais pour m'en aller mais elle me fait signe de laisser la porte ouverte, elle n'est pas rassurée. Elle ne me rappelera pourtant pas de la garde.

    La nuit suivante, j'apprends à la relève que son foetus est mort dans la journée. Je me dis "gloups", peut-être qu'hier soir ça n'allait pas, que j'aurais dû faire quelque chose de plus ? Mais en fait non. Il est mort dans la journée, de ses autres dysfonctionnement, une sorte d'IMG "naturelle". Lorsque j'entre dans sa chambre je lui demande un peu penaude comment ça va... On ne m'a pas vraiment appris les mots magiques pour ce genre de situation alors je me suis faite à l'idée qu'ils n'existent pas. Elle est triste, mais néanmoins soulagée. Elle n'aura pas à le voir mourir petit à petit et la Nature a finalement décidé toute seule. Elle m'annonce alors qu'hier soir elle sentait les choses arriver, que si elle m'avait demandé de laisser la porte ouverte c'était pour laisser son petit s'en aller, comme ça. Ca parait si surréaliste dans ce monde de "bip-bip", de moniteurs et de machines. Elle est si calme, esquisse même un sourire. Je m'échappe de la chambre avant de m'effondrer. Cette fois, elle me laisse fermer la porte.

    Je continue mon tour, heureusement, il ne me reste plus beaucoup de patientes à voir. J'en ai annoncé quelques unes des morts foetales in utéro et quelques unes des fausses couches, mais c'était la première fois qu'une patiente paraissait si consciente, appaisée et résignée. En fait, elle était émouvante. C'était la première fois que je voyais dans une situation si triste, un peu de beauté et de poésie.

    Elle est indienne et a de la chance de pouvoir croire à la fatalité. Et nous, pauvres occidentaux, avons de la chance de pouvoir côtoyer des "pas comme nous" qui se cognent à nos irréductibles Vérités.


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  • Article privé, me contacter pour le mot de passe, merci.

    Mot de Passe:


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  • Le décor: Une maternité type 2, environ 1000 accouchements/an.

    Les personnages: Un couple dont une femme en travail. Une sage-femme expérimentée, et moi, encore étudiante.


    C'est un deuxième bébé. Elle avait accouché une première fois en Grande-Bretagne, à domicile. Domicile parce que c'est le pays où elle a grandi. Domcile aussi, parce qu'elle était chez elle, dans sa maison.
    Elle vivait en France depuis quelques années. Les britaniques habitant en France sont nombreuses à repartir dans leur pays d'origine pour leur suivi de grossesse. Elle, n'a pas pu. Elle n'a pas non plus trouvé de sage-femme libérale pouvant assurer un accouchement à domicile. Du coup, elle s'est inscrite dans cet maternité, la seule du coin.

    Nous la recevons donc. Elle explique son projet. Nous dit qu'elle souhaite rester la plus libre possible, avec son mari, et sans péridurale. Elle comprend bien qu'elle est à l'hôpital et qu'ici on aime bien une certaine technicisation. Elle n'est pas obtue, ça tombe bien, nous non plus. Elle accepte alors une voie veineuse, au cas où. On ne branche pas de perfusion, on bouche juste le catheter. Concernant le monitoring, ben nous on aimerait bien en avoir. Elle, elle aimerait bien ne pas être clouée au lit. La maternité ne dispose pas de monitoring sans fil. Et ce n'est pas dans le projet d'établissement, qui veut mettre des sous ailleurs. Mais bon, après tout, les fils sont grands, on a vérifié, on peut faire le tour du lit avec. Et puis, il y a des roulettes. On branche donc l'appareil, surtout pour le rythme cardiaque foetal, la dynamique utérine est facilement évaluable cliniquement. Forcément, on ne capte pas toujours bien le coeur mais on a des plages assez longues pour pouvoir analyser, dire que ça va bien.

    On la laisse avec son mari. Ils gèrent très bien tous les deux, surement mieux que ce que j'aurais pu lui apporter. On voit qu'ils sont préparés, qu'ils ont déjà vécu ça. J'ai l'impression qu'ils se servent de la maternité, de l'équipe, pour juste ce dont ils ont besoin et c'est tout. On l'examine quand même de temps en temps, quand les sensations changent. Juste assez pour dire que le travail avance, normalement.

    Pour l'accouchement, rien est décidé, elle verra bien au moment venu ce qu'elle voudra faire, on s'adaptera. Ca m'a toujours surprise les femmes ont déjà une idée précise de la position qu'elle prendront lors de l'accouchement, de la tête jusqu'au orteils. Qui peut dire ça sans vraiment y être? Bref. Arrive le moment où elle nous appelle. Les contractions s'intensifient, ça pousse de plus en plus fort, elle veut de l'aide pour s'allonger sur le lit. Elle tient de moins en moins debout. Une fois sur le matelas, la poche des eaux se rompt et les cheveux de l'enfant deviennent visibles. La sage-femme m'ouvre des gants stériles, la table d'accouchement est prête. La femme s'agite un peu, elle a mal, pousse fort. Je m'assoie sur le lit, la guide un peu, et essaie de la rassurer surtout. Je suis contente, j'adore les accouchements "au lit", sans table cassée et sans le **** de scialytique qui m'écorche les yeux. La tête sort rapidement, puis les épaules, puis l'enfant que je pose sur son ventre. Elle est heureuse et pour le faire partager m'arrache le bras en me disant MERCI. En l'écrivant, je peux encore en sentir la sensation.

    La délivrance se fait dans les minutes qui suivent et à l'examen le périnée est intact. On remet tout le monde au propre et on se fera surement engueuler par les ASH, il y a des traces au sol.


    Tout ça pour dire que forcément, cet accouchement n'était pas "parfait". Dans son idéal cette femme aurait préféré autre chose. Et l'équipe médicale aurait peut-être été plus confortable autrement. Ou pas. Quoiqu'il en soit les deux parties ont su faire des compromis pour que ce soit acceptable pour chacun.
    Cette maternité n'est pas connue pour être particulièrement physiologique, il y avait ce jour là une autre patiente en travail. Comme quoi. Ne pas arriver le couteau entre les dents, peut aussi servir.


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  • Attention : ceci est un post niais pouvant nuire à la santé des garçons sensibles (et des autres).


    J’aime écrire sur Internet. Que ce soit sur un blog, sur un forum, sur un réseau social. J’écris ce qu’il me passe par la tête, du simple smiley à la dissertation. J’écris ce qui me pèse. J’écris pour séduire. J’écris pour répondre à quelqu’un.

    L’anonymat (relatif) d’Internet me permet de me sentir plus libre pour exprimer ce que je ressens. Je n’arrive pas toujours à le faire dans la forme qui me convient, mais le fond y est.

    J’aime l’idée de pouvoir parler de tout (et n’importe quoi) à des inconnus, dont je ne sais que peu de choses et qui ne savent que peu de choses de moi. Je me sens protégée derrière mon écran.

     

    Mais parfois, l’écran se brise. Je suis invitée à rencontrer IRL ces inconnus, qui ne le sont plus tant que ça à force d’échanges virtuels.

    Là c’est l’angoisse. Passer plusieurs jours avec ces « inconnus », est-ce bien raisonnable ? Ca semble un peu fou. Avons-nous vraiment des points communs ? Ou bien est-ce seulement nos doubles virtuels qui ont des affinités ? Jouons-nous la comédie derrière nos écrans ?

    Et puis que vais-je faire après ? Est-ce que je serai capable de continuer à me livrer sur mon clavier maintenant que je connais ces inconnus, qu’ils sont une entité physique et non plus un avatar ?

     

    Vient le moment de la rencontre. L’ambiance est chaleureuse dès l’arrivée, on se sent un peu comme dans une famille. C’est étrange, même mon côté autiste semble à l’aise ici. Des groupes se créent, des conversations commencent, les groupes se mélangent, de nouveaux sont créés. Il règne un joyeux bordel.

    Chacun trouve sa place, quelle que soit sa stature, sa notoriété, sa profession. Tout le monde semble sur la même longueur d’ondes. Mais nous ne sommes pas pour autant au pays des Bisounours : il y a des débats, des prises de position, des sujets qui fâchent. Mais toujours dans le respect de l’autre.

    La rencontre se passe ainsi. Les longues soirées à discuter (et les réveils presque matinaux) créent la fatigue. Les nerfs sont à fleur de peau. Et les adieux (au revoir ?) sont lacrymogènes. Certains se cachent, d’autres non. Certains font mine d’être insensibles.

     

    C’est le retour à la vie d’avant, la vie de tous les jours. J’ai repris ma place derrière mon écran d’ordinateur. Je traîne toujours sur ces lieux d’échanges virtuels. Tout semble identique.

    A une chose près : je sais que derrière ces avatars se cachent des gens formidables.


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  • Le suivi de grossesse physiologique est au centre d'une querelle, voire d'une lutte acharnée pour avoir son bout de tissu. Trois professionnels de santé sont habilités à réaliser des consultations de grossesses physiologiques: sage-femme, médecin généraliste et gynécologue (médical ou obstétricien). Une grossesse peut tout à fait être suivie en ville, on demandera alors que les dernières consultations se fassent sur la maternité où la patiente souhaite accoucher (histoire de la connaître...). Si un accouchement à domicile est envisagé c'est un peu différent. En cas de pathologie de la grossesse cette liste s'amenuise puisque seul le gynécologue est compétent pour suivre ces femmes, en collaboration avec les autres professionnels de santé.

    Je passe sur les grossesses pathologiques, ce n'est pas le sujet aujourd'hui. J'écris sur les grossesses physio et là une question, quel intérêt pour le professionnel de les suivre ?

    - le gynécologue: c'est fun, rapide, en 10 minutes on peut largement faire l'examen clinique+prescription nécessaire et au revoir, au mois prochain. Si on considère qu'un suivi de grossesse, même physio, ce n'est pas que celà, on peut aller plus loin. Parler de tout ce qu'il y a autour de la grossesse selon l'age gestationnel. Parler "chiffon". Parler lieu d'accouchement, parler manière d'accoucher etc...

    - le médecin généraliste: c'est fun mais peut-être pas si rapide. On voit une patiente qu'on connait déjà autrement que pour une rhino J1, on suivra peut-être son enfant, les deux jusqu'à la mort. Médecine générale utopique? Mouai. Enfin, c'est cool quoi.

    - la sage-femme: c'est fun, rapide ou pas selon ce qu'on veut faire de ses consultations. Mais, c'est surtout une des partie essentielle de son métier. Ce pour quoi elle a été formé de manière spécialisée. Car oui, on peut être spécialisé en physiologie.


    Parlons technique et je vais faire grincer des dents, qui fait quoi ? Et qui à mon sens, devrait faire quoi dans le monde idéal de Knackie.


    Déjà les sages-femmes. Les sages-femmes devraient réellement être LE praticien de la grossesse physiologique (comme on le dit dans son beau et joli Code de Déontologie faisant partie du Code de la Santé Publique et qui régit la profession). Nous avons l'avantage de connaître physiquement tout le parcours d'une femme enceinte des BCHG+ à la vaccination du marmot. Nous sommes passés partout, nous avons exercés partout pendant nos études et du coup lorsqu'on en parle et bien... on voit de quoi on parle et mine de rien, c'est un confort bien confortable. Dans certains pays européens (je ne me rappelle plus lesquels), la sage-femme est vraiment considérée comme cela. Le suivi par celles-ci est incité et parfois même "obligatoire". En effet, il existe un pays (mais lequel??) où une femme enceinte doit obligatoirement voir une sage-femme pendant sa grossesse et le recours au gynécologue si pathologie en dépend. C'est peut-être extrême...
    Alors, je regrette que nous ne soyons pas intégrés au parcours de soin. Ainsi lorsqu'on voit une patiente et qu'elle un truc qui nous dépasse. On peut renvoyer au généraliste hors parcours et ce n'est pas considéré comme "avis spécialisé", ça le pourrait pourtant. Si on veut un avis gynécologique de même (mais le gynéco fait parti de ces médecins que l'on peut consulter directement sans passer par un généraliste et ainsi être remboursé). Et pire, si on voit une femme en consultation avec une dermatose bizarre, pour valider le parcours de soin on doit l'adresser au généraliste qui dira "oui vous avez une dermatose bizarre et puis vous êtes enceinte AAAAAAAAAAH-llez voir un dermatologue". Sympa pour la femme qui se fera balloter de cabinet en cabinet pour le bien de l'Assurance Maladie.


    Ensuite les gynécologues. Dans mon monde idéal ils devraient faire principalement la compétence qui leur est propre: suivre des grossesses pathologiques. En réalité, ils suivent beaucoup de physio, de la patho certainement, qu'ils renvoyent aux sages-femmes pour un suivi plus rapproché (cherchez l'erreur). Ainsi la patiente hypertendue verra son gynéco une fois par mois, sa sage-femme deux fois par semaine avec son tensiomètre, pareil pour une Menace d'Accouchement Prématuré, ah ça, ce n'est pas le gynécologue qui va faire des visites à domicile pour évaluer la MAP. Bref, vous m'avez compris, comme une impression que les rôles sont inversés.


    Et au milieu, les généralistes qui pour moi (attention attention pas taper tout de suite) n'ont rien à faire dans le suivi de grossesse avec la formation initiale qu'ils ont. C'est à dire, quelques heures de cours théoriques et un stage d'interne obligatoire en gynéco. Le stage obligatoire ça peut être 3 mois à faire des consultations, accouchement etc... comme une demi-journée à voir des colposcopies. Rien n'est réglementé à ce niveau là. Et du coup, j'ai de mauvaises expériences avec les généralistes. Lorsque je faisais des consultations à la maternité et qu'une femme arrivait, la bouche en coeur, pour la première fois disant "c'est mon médecin qui me suivait", j'avais des sueurs froides. Entre la sérologie rubéole faite tous les mois ou pas faite du tout, le dépistage trisomie 21 non proposé avec une échographie du 1er trimestre montrant une clareté nucale à 3 mm et  là on est à 28 SA, la prévention de l'allo-immunisation rhésus rattrapée de justesse. Enfin bon, je me méfiais quoi. Pour moi le généraliste c'était au pire, celui qui disait à la femme non immunisée pour la toxoplasmoe de tuer son chat, au mieux, celui qui suivait scrupuleusement le tableau HAS en tirant la langue.


    Et puis, j'en ai rencontré des bien, qui s'intéressaient à la chose et allaient chercher les informations. J'en ai vu des gentils avec des couettes et d'autres qui m'on fait un câlin. Ca fait un peu réfléchir. Je me dis que leurs patientes déjà, ont de la chance, et pourquoi iraient-elles voir un intervenant supplémentaire ? Seulement voilà, eux, c'est parce qu'ils le veulent bien. Rien n'empêcherait un confrère moins scrupuleux de faire n'importe quoi sur une grossesse et moi ça me dérange.
    Et puis bis, il y a la question de mon utilité. A quoi je servirais alors ? La seul compétence qu'une sage-femme a et qui ne peut être remplacé par AUCUN professionnel de santé c'est la préparation à la naissance et à la parentalité. Pour tout le reste nous sommes substituables soit par un infirmier (spécialisé ou non), soit par un médecin, soit par un kiné. On arrête tout ? Après seulement deux ans de diplôme ça me ferait mal.

    Certains disent également "oui mais de toute façon chez moi, il n'y a pas de sages-femmes". Mouais. Chez moi, il y en a plein et elles ne suivent pas forcément beaucoup de grossesses pour autant. Et si ce ne sont que les "gentils" généralistes qui renvoient faire les sf, reste alors les boulets et leur suivi approximatif qui eux, se les gardent. J'ai toujours été convaincu qu'une collaboration généraliste/sf était le B-A-BA tout comme la collaboration généraliste-autres spé médicale. Je voyais du genre généralite reçoit BHCG+, propose la sf, la sf tiens informée, renvoit pour autre chose etc etc... Et ça se passe comme ça un peu, de plus en plus. 'fin bref.


    Je vais mettre un peu d'eau dans mon vin et dire que oui, un généraliste peut suivre une grossesse... s'il est "gentil" (comprendre compétent et tout et tout). Même s'il ne connait pas tous les rouages du système, même s'il y a quelques approximations, ça se rattrape, pas de quoi parler "perte de chance". Mais à dire ça j'ai vraiment l'impression que je soulève une question plus pénible, à quoi je sers ?


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